Journal
Alice par le groupe Momix aux Folies Bergère – Il était dix-sept fois – Compte-rendu
Que ce spectacle va donc bien aux Folies Bergère, salle aux couleurs invraisemblables, au glorieux et jouissif mauvais goût, avec ses décorations clinquantes et ses chevaux qui caracolent : même si l’histoire d’Alice n’est pas la plus réjouissante qui soit, le spectacle étourdissant dont elle est le thème fait passer un moment enchanté.
On sait depuis longtemps combien Momix, la compagnie de Moses Pendleton et Cynthia Quinn, deux anciens de Pilobolus, ce groupe qui éblouit dans les années 70 par l’incroyable fantasmagorie que dégageaient ses corps entremêlés, dispose de cordes inhabituelles à son arc. Le maître mot de leurs spectacles est la virtuosité, mais pas celle qu’on entend habituellement pour de seules performances gymniques ou artistiques : il s’agit plutôt de faire du corps un objet magique, qui éloigne les limites de l’humain et le transforme en ovni, capable de projeter dans l’espace les figures les plus farfelues. Avec l’appui majeur de lumières qui créent un autre monde
© Quinn-Pendleton
Ici Moses Pendleton s’est attaqué à l’histoire d’Alice au Pays des merveilles, et un grand portrait de Lewis Caroll sert d’introduction à cette folle randonnée dans les rêves les plus biscornus. En fait, le périple d’Alice, depuis Le terrier du lapin à L’autre côté du miroir, n’est qu’un prétexte à une succession d’images plus loufoques les unes que les autres, portées par des extraits musicaux plutôt brutaux et répétitifs, et parfois marqués d’une touche d’orientalisme, qui se réfèrent certes aux figures nées de l’imaginaire de Caroll, mais sans suivre une trame précise. Il faut se laisser porter par le chatoiement des lumières délirantes de Michael Korsch, qui permettent aux silhouettes d’être projetées et démultipliées sur des fonds chatoyants, géométriques ou figuratifs, et de devenir ainsi partie prenante d’un monde mouvant, parfois inquiétant, mais surtout fascinant par son étrangeté.
Les dix-sept scènes s’enchaînent tandis que les corps se tordent et se détordent en ayant souvent l’air de flotter, dans des costumes signés Phoebe Katzin, marqués du grain de folie qui caractérise l’œuvre et qui sont des prodiges de couleurs et de maniabilité pour les danseurs qui en tirent mille figures. On est ébloui par la silhouette de la Reine des Diamants, virevoltant comme une trapéziste, ou par la chenille faite d’énormes ballons, qui ont l’air de rebondir sur l’écran. Parfois aussi, un brin de poésie fait rouler des vagues qui apaisent ce tourbillon avec leur souffle pur. Tout n’est pas aussi réussi : l’araignée ne fait pas peur, et la Reine folle n’impressionne pas beaucoup.
Mais l’ensemble étourdit par sa frénésie gymnique, ses jeux de lumière éclatants, tandis qu’un magicien semble agiter tout ce monde loufoque. On regrette simplement qu’il n’y ait pas véritablement de fil conducteur pour donner un peu plus de trame à tous ces tableaux, et que le tricotage d’images conçu par Pendleton et Quinn, perde de ce fait la puissance émotionnelle et poétique que leur spectacle aurait pu dégager. Il faut accepter de ne voir là d’un prodigieux divertissement, servi par de formidables danseurs-illusionnistes, comme ils aiment à se désigner, et s’en régaler.
Jacqueline Thuilleux
Alice – Paris, Folies Bergère, le 24 mars ; prochaines représentations, les 26, 27, 29, 30, 31 mars, les, 1, 2, 3, 5, 6, 7, 9 avril 2022 // www.foliesbergere.com/fr/momix-alice-folies-bergere-2020
Photo © Quinn-Pendleton
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