Journal
Une interview de Noémi Schindler, violoniste – « La musique de Cavanna ne laisse jamais indifférent »
La sortie de l’enregistrement des deux concertos pour violon de Bernard Cavanna par Noémi Schindler et l’Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek, programme complété par les étonnantes Geek bagatelles (pour orchestre symphonique et ensemble de smartphones !), constitue l’un des événements discographiques de ce début de printemps (1 CD L’Empreinte digitale) (1). À quelques jours du concert de lancement du disque, le 5 avril au théâtre du Gymnase, on a interrogé Noémi Schindler (photo), complice de très longue date du compositeur. Rencontre avec une violoniste passionnée par la création, mais que l’on aurait bien tort de réduire au répertoire contemporain.
Vous êtes depuis de longues années familière de la musique de Bernard Cavanna : comment décririez-vous à grands traits l’univers esthétique, le monde de ce créateur à un mélomane qui partirait à sa découverte ?
Le monde de Cavanna ... Sa musique se caractérise par une grande sincérité qui me fait penser à Schubert dans la façon de manier l’harmonie en la mettant au service d’une expression très personnelle. Quel art de l’orchestration aussi, qui nous révèle des couleurs peu communes ; couleurs qui tiennent parfois à des mélanges d’instruments très originaux. La musique de Cavanna touche toujours l’auditeur, elle ne le laisse jamais indifférent ; elle est à la fois profondément moderne et accessible.
Venons-en aux deux concertos pour violon, que deux décennies séparent (1999 et 2019) et que vous avez l’un et l’autre donnés en première audition. Quel souvenir gardez-vous de la plongée dans la musique de Cavanna il y a vingt ans lors de la création, le 13 février 1999 à Radio France, du Concerto n° 1 ?
Un souvenir d’étonnement en raison d’un premier mouvement d’une expression que l’on peut qualifier de batailleuse. Il y a de quoi être surpris quand on connaît Bernard, homme d’un grande douceur, très chaleureux. Mais le caractère de la musique m’allait très bien ; j’aime ce côté un peu sauvage. L’étonnement se mêlait donc à grand plaisir de jouer une musique qui oppose l’individu et la masse – une idée philosophique presque, que le compositeur traduit musicalement. D'être cet individu qui se bat contre un énorme groupe m’a procuré beaucoup de bonheur !
La partition que vous avez créée en 1999 était écrite pour grand orchestre, tandis celle présente sur le disque qui sort fait appel à un orchestre de chambre. Le fait de jouer cette seconde version a-t-il modifié votre perception de l’œuvre ?
Au fond non, car le discours reste le même pour moi. La présence d’un masse orchestrale moins importante présente des avantages en ce qu’elle permet d’entendre plus de détails et autorise chaque groupe d’instruments à s’exprimer plus clairement.
Le Concerto n° 2 « Scordatura », que vous avez créé le 16 mars 2019 à Genevilliers avec l’Orchestre de Picardie, est un ouvrage d’un type assez particulier, un concerto pour violon(s), destiné non pas à un mais à quatre instruments ...
Quatre violons en effet : l’un accordé de manière normale, les trois autres avec chacun une scordatura particulière. Le Concerto n° 2 offre un regard universel sur le monde ; chaque mouvement répond au mouvement d’avant, par des réponses opposées, des regards très différents. Avec du recul aussi : il y a une force dans ce discours que est celui de quelqu’un qui a vu, vécu beaucoup de choses et qui regarde vers le passé avec beaucoup de nostalgie.
Regard vers le passé : le premier mouvement, In memoriam Berg, se souvient en effet du Concerto « A la mémoire d’un ange », tandis que le final, Matchiche, fait référence ... à Mayol !
Cet hommage à Berg se situe complètement dans l’univers de Bernard. Il n’y pas une citation qui n’est pas repensée en fonction de son discours, pour exprimer quelque chose de différent. Le dernier mouvement nous plonge dans un univers un peu enfantin, qui fait référence à une petite boîte à musique que je conserve depuis mon enfance et que Bernard a découverte un jour où il me rendait visite à Zurich. Un boîte à musique avec un petit clown à la mine un peu nostalgique qui danse sur l’air de Matchiche, chanson popularisée par Mayol.
L’enregistrement des deux concertos vous a donné l’occasion de retrouver l’Orchestre de Picardie et Arie van Beek. Comment s’est-il déroulé ?
J’ai été frappée par l’exceptionnel investissement des musiciens. Il ne s’agissait pas seulement de bonne volonté ; ils ont vraiment compris tout ce que dit cette musique, tout ce qu’elle comporte de vraiment nouveau. Je suis très heureuse de la superbe énergie qui a porté l'ensemble de l’équipe lors d’une session d’enregistrement dont le résultat me satisfait pleinement.
Vous avez auparavant évoqué les mélanges d’instruments que Cavanna affectionne. On trouve un accordéon dans le Concerto n° 1, une cornemuse, une mandole et une mandoline dans le Deuxième ... Surprenant voisinage ?!
Complètement ! Et, surtout, il faut entendre comment ces instruments sont employés, les moments où ils interviennent, l’agencement des tensions ; la manière dont Bernard mène tout cela en vrai « metteur en scène ». L’auditeur est pris et emmené dans une histoire très forte et très belle !
Le 28 mai prochain, à Metz, vous retrouverez la musique de Cavanna en tant que violon solo de l’ensemble Multilatérale qui, au côté des Métaboles, interprétera la Messe un jour ordinaire sous la direction de Léo Warynski.(2) Quelques mots sur cette partition en rien "ordinaire" ?
C’est une sorte de bombe musicale ! Bernard y a mêlé le récit de la galère d’une toxicomane fraîchement sortie de prison au texte du rituel de la messe en latin. Le résultat vous prend au ventre ! Je suis une passionnée de la musique de Bernard ; avec cette Messe il a eu moment d’inspiration absolument incroyable !
Votre goût pour la création vous conduit à participer à une soirée autour de Tomás Bordalejo à la Scala-Paris le 29 mars (2). Un artiste d’origine argentine, né en 1983, dont vous défendez depuis un bon moment la musique ... Comment le présenteriez-vous ?
J’aime déjà beaucoup Tomás en tant qu’humain ; tout ce charme argentin ... Je compte parmi mes élèves quelques Latino-américains et, dans tous les cas, j’ai noué un lien très chaleureux avec eux. Musicalement, Tomás a quelque chose de très direct, très libre, très entier ; il a vraiment un imaginaire à lui – un monde sans concession. Je connais Tomás depuis pas mal de temps, il a même écrit pour ma classe à Genevilliers – du sur mesure pour chaque élève ! J’accorde de l’importance à la musique contemporaine dans mon enseignement, mais en laissant toute la place nécessaire au classique et au baroque.
Musique baroque que vous pratiquez depuis quatre ans sur instrument ancien ...
Je considère qu’on ne peut plus aujourd’hui jouer Bach par exemple sur instrument moderne ; ça ne va plus. Je ne voulais pas m’en priver ; je me suis donc mise au violon baroque et j’y prends un plaisir fou. Je voudrais pouvoir en faire plus encore. Je ne me sens pas violoniste « de musique contemporaine » ; je suis violoniste tout court et je touche à tous les répertoires, sauf le jazz que je ne saurais pas faire je l’avoue.
Propos recueillis par Alain Cochard le 25 mars 2022
(2) lesmetaboles.fr/en/projet/messe-un-jour-ordinaire
(3) www.concertclassic.com/article/soiree-tomas-bordalejo-la-scala-paris-les-fetiches-dun-musicien-libre
Concert de sortie du CD
Projection du film de Delphine Blic « Geek Bagatelles »
Concerto n°2 pour violon(s) et orchestre
Noémi Schindler, violon ; Ensemble Multilatérale, direction Léo Warynski
5 avril 2022 – 20h
Paris – Théâtre du Gymnase ( 38 Bd de Bonne-Nouvelle – 75010 / M° Bonne-Nouvelle)
Entrée libre. Réservation sur concertosbagatelles@gmail.com
Photo © Sophie Steinberger
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