Journal
Ignace à l’Odéon de Marseille – Sors de ce corps, Fernandel ! – Compte-rendu
Si, comme l’écrivait en 1936 Roger Vinteuil, critique au Ménestrel, à l’issue de la première parisienne de l’opérette Ignace au Théâtre de la Porte Saint-Martin « Le physique de Fernandel est une exceptionnelle réussite du génie bouffe de la nature », force est de reconnaître que Vincent Gilliéron, embrassant à son tour le rôle, marche sans peine sur les brisées du comique marseillais. Prouvant, dans le même temps, qu’étudier le chant au conservatoire de Lausanne n’est en aucun cas rédhibitoire pour laisser s’épanouir un humour franchouillard mâtiné d’accents sudistes !
A l’Odéon, à deux pas des « Folies Marseillaises », lieu devenu « Théâtre des Variétés » et désormais complexe cinématographique, où fut créé Ignace en 1935, Vincent Gilliéron (photo) n’a pas hésité à venir incarner un personnage passé à la postérité par la grâce (si on veut !) et surtout le talent de Fernandel. Qui n’a pas en tête la dentition extraordinaire, au sens propre du terme, du comédien au moment d’évoquer le « petit, petit nom charmant qui lui vient tout droit de ses parents… » ? Sur la Canebière, il fallait oser le faire, Vincent Gilliéron l’a fait ! Visionnaire, Maurice Xiberras, le directeur général de l’Opéra marseillais et de l’Odéon, haut-lieu de l’opérette, devait se douter il y a quelques mois, en invitant le jeune homme, qu’il allait jouer gagnant. Pour le plus grand plaisir des happy few (quelques centaines tout de même) ayant eu le nez creux en réservant leurs places pour ce spectacle. Ignace, l’ordonnance du colonel Dorozier, grand dadais revêtu de son uniforme bleu horizon, pas si benêt que ça, les a fait rire aux éclats ; ce qui ne l’a pas empêché de maîtriser parfaitement son expression vocale et son jeu hors-pair.
© Christian Dresse
Opérette bouffe, comédie ou vaudeville musical : Ignace navigue entre les genres pas si éloignés l’un de l’autre. C’est surtout une œuvre marseillo-marseillaise au livret du local Jean Manse, mis en musique par le gardois Roger Dumas, pour le marseillais Fernand Joseph Désiré Contandin … Carole Clin, qui signe à ici la mise en scène de cette nouvelle production, le sait bien. Elle sait aussi que le fil rouge comique déroulé par Ignace n’a d’intérêt qu’en fonction des quiproquos générés au long de l’œuvre par les autres personnages ; et elle les soigne. Son petit monde est installé, élégamment costumé, dans une ambiance années trente, intérieurs bourgeois et jardins impressionnistes bienvenus. Comme à l’habitude, le traitement qu’elle fait de cette comédie regorge d’humour et de sous-entendus d’où la vulgarité est totalement exclue ! Une friandise délicieuse à déguster sans modération …
© Christian Dresse
Dégustation d’autant plus agréable que les ingrédients du bonbon ne manquent pas de saveur aux côtés de Vincent Gilliéron, à commencer par l’Annette de l’excellente Marion Preïté (photo), soubrette un tantinet délurée mais tellement charmante. La colonelle Durozier, incarnée par Danielle Dinant, mène son monde à la cravache non sans éprouver quelque ardeur au moment de fauter avec le baron des Orfrais, Jean-Claude Calon, séducteur sur le retour secoué, lui aussi, par des accès de verdeur. Agnès Pat’ est une délicate Monique, pas si naïve que voudrait laisser croire son rôle, au moment de tomber dans les bras de l’avocat Serge de Montroc, Alfred Bironien, maitre du barreau et, assurément, de la gaudriole. Gaudriole dans laquelle tombera le colonel Durozier, auquel Philippe Ermelier donne vie avec bonhomie, en découvrant, contre quelques francs de l’époque, les gambettes de la délicieuse Loulette, demi-mondaine parisienne ; un rôle taillé sur mesure pour Julie Morgane. Jean-Luc Epitalon, le capitaine, Jean Goltier et les danseurs de la compagnie de Maud Boissière complétant idéalement le casting. Quant à la musique de Roger Dumas elle est servie ici par un sextette auquel appartiennent les co-directeurs musicaux Christian et André Mornet. Musiciens qui donnent une belle couleur aux java, valse et autres airs aux accents du continent américain, nord, centre et sud réunis.
Une chose est à souhaiter désormais : que cette production ne reste pas dans le monde de l’éphémère et ne tombe pas dans l’oubli après deux représentations seulement. Pour mémoire, Ignace avait tenu l’affiche à Paris pendant plus de 100 représentations en 1936… Alors, c’est vrai, Fernandel n’est plus là, mais il y a de jeunes artistes pour reprendre ce rôle sous la bienveillance de son fantôme, à commencer par Vincent Gilliéron !
Michel Egéa
Roger Dumas : Ignace - Marseille, Odéon, 26 mars 2022
Photo © Christian Dresse
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