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Récital Pene Pati / Le Disque de la Semaine (Warner Classics) – Forcément Roméo
Second Prix et Prix du public lors de l’édition 2015 du concours Operalia, le ténor samoan Pene Pati a connu en quelques années des débuts assez fulgurants. En moins d’une décennie, il a décroché des engagements sur les plus grandes scènes : après San Francisco où il avait chanté ses premiers tout petit rôles, il s’est imposé à Paris, Naples, Moscou, Vienne, et tout porte à croire qu’il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Pourtant, un lien particulier semble l’attacher à la France et à son répertoire. Si son premier grand rôle, en 2017, fut le Duc de Rigoletto, il aborde Roméo et Juliette dès 2019, et cet opéra va lui ouvrir bien des portes : celles de l’Opéra de Bordeaux pour une version semi-scénique donnée juste avant le confinement de 2020, puis celles de l’Opéra Comique où il s’est substitué in extremis à Jean-François Borras (1) pour toute une série de représentations. A San Diego, en ce moment même, et jusqu’au 3 avril, il est à nouveau Roméo, mais il convient de reconnaître que c’est jusqu’ici le seul rôle français qu’il ait interprété, en attendant son Nicias dans la Thaïs en version de concert que proposera le Théâtre des Champs-Elysées le 9 avril. (2)
Gounod : "Ah ! lève-toi, soleil ! " (ext. Roméo et Juliette)
Quantitativement, il y a donc eu jusqu’ici fort peu de musique française inscrite sur l’agenda de Pene Pati. Hors Roméo, ce ne sont qu’Alfredo, Edgardo, Nemorino (le rôle avec lequel il a fait ses débuts à l’Opéra de Paris en septembre dernier) ou Percy d’Anna Bolena. Rien que de l’italien, à l’exception d’un récent Chant de la Terre en Autriche, le Mitridate de Mozart prévu à Berlin et Paris à l’automne 2020 ayant été annulé. Mais les rôles en français occuperont très bientôt dans son parcours une place plus importante : outre le Nicias évoqué plus haut, il convient de signaler Aménophis dans Moïse et Pharaon au festival d’Aix-en Provence cet été, puis La Damnation de Faust à Monte-Carlo, et ce n’est sans doute qu’un début. Car qualitativement, le Roméo de Bordeaux est apparu comme une évidence pour tous les auditeurs : Pene Pati semble fait pour chanter le répertoire français. D’abord, la maîtrise de la langue est assez stupéfiante. Ensuite et peut-être surtout, le style est là, alors que tant d’artistes se fourvoient en plaquant sur Massenet ou Gounod des façons de chanter qui conviennent mieux à Puccini ou Mascagni.
Rossini : "Asile héréditaire" (ext. Guillaume Tell )
© Simon Fowler and Parlophone
On comprend donc que son premier récital au disque, sobrement intitulé Pene Pati, soit dirigé par un chef français, Emmanuel Villaume, à la tête d’une formation française, l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, et offre un programme où le français l’emporte très largement sur l’italien (huit titres contre quatre), contrairement à la liste de ses emplois sur scène jusqu’ici. Côté répertoire italien, il y a forcément le duc de Mantoue, le premier grand rôle, on l’a dit, ainsi que Nemorino, auxquels s’adjoignent deux personnages pas encore incarnés au théâtre : Arrigo de La battaglia di Legnano et le rôle-titre de Roberto Devereux. Côté répertoire français, il y a inévitablement Roméo, il y aussi cet Aménophis qu’on applaudira dans quelques mois à Aix (mais hélas pas à Lyon, où le spectacle sera repris en janvier 2023), et tout le reste est pure découverte, entre délicieuses raretés qu’on n’ose pas imaginer de sitôt entendre en entier – Polyeucte de Gounod, Jocelyn de Benjamin Godard, et surtout L’Etoile du Nord de Meyerbeer – et grands classiques qui pourraient venir – Des Grieux dans Manon, Arnold dans Guillaume Tell ou Raoul des Huguenots.
Massenet : "En fermant les yeux" (ext. Manon)
L’écoute de ce disque confirme en effet ce tropisme vers le français. Le caractère ensoleillé du timbre et l’aisance de l’aigu (quelques interminables contre-ut révèlent une longueur de souffle assez confondante) font évidemment que Pene Pati se voit confier des rôles verdiens ou donizettiens, et pourtant il y a dans cette voix quelque chose, non pas de raide, mais de droit, pourrait-on dire, qui s’accommode infiniment mieux de la musique française. On s’en aperçoit dès les premières minutes : ce Duc de Mantoue est fort bien chantant, là n’est pas la question, mais il y manque un peu cette énergie vitale, ce slancio que possédaient au plus haut point quelques grands artistes de la péninsule. Et ce qui est un peu un défaut dans la musique italien devient au contraire une qualité pour servir avec raffinement les compositeurs français. Le ténor possède des couleurs admirablement juvéniles, qui siéent idéalement à Roméo, il sait donner la poésie nécessaire à « Plus blanche que la blanche hermine », et jamais il ne donne l’impression de pousser la voix, comme si tout cela coulait de source. Mieux que des promesses, donc, qu’on souhaite voir se concrétiser durablement dans les années à venir.
Laurent Bury
(1) www.concertclassic.com/article/romeo-et-juliette-lopera-comique-consecration-pour-pene-pati-compte-rendu
(2) Thaïs au théâtre des Champs-Elysées (9 avril 2022 – 19h30) : www.theatrechampselysees.fr/saison-2021-2022/opera-en-concert-et-oratorio-1/thais
Récital Pene Pati, avec la participation du baryton-basse Mirco Palazzi (œuvres de Donizetti, Gounod, Verdi, Rossini, Meyerbeer, Massenet, Godard) - Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Orchestre national Bordeaux Aquitaine, dir. Emmanuel Villaume / 1 CD Warner Classics
Photo © Simon Fowler and Parlophone
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