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26e Festival de Pâques de Deauville – Complicité inspirée – Compte-rendu
Après deux années que l’on préfèrerait ne pas avoir connues, le Festival de Pâques de Deauville était de retour, devant un vrai public. (1) De retour dans une salle Elie de Brignac, à l’acoustique nettement améliorée (tant pour la chaleur que la définition du son) grâce à l’installation d’un plateau de bois amovible sur le demi-cercle d’un lieu mondialement célèbre pour ses ventes de yearlings. L’avant-dernier week-end du 26e Festival proposait un concert Grieg-Messiaen et une soirée tout Mozart sur instruments anciens ; deux programmes très différents mais mêmement caractérisés par la complicité inspirée de leurs protagonistes.
Force narrative
Edgar Moreau et David Kadouch (photo) ouvrent le ban dans la Sonate pour violoncelle et piano op. 36 de Grieg (1883). Une partition rare au concert, profondément attachante à l’instar du Quatuor op. 27, de cinq ans antérieur. Dans les deux cas, on oublie vite les imperfections de facture quand les instrumentistes savent faire corps avec la générosité du propos. Depuis un justement célébré enregistrement (Erato) des sonates de Franck et Poulenc et de la Grande Sonate dramatique « Titus et Bérénice » de Rita Strohl, l’entente d’Edgar Moreau et de David Kadouch n’est plus à démontrer. Archet sculptant la phrase avec souplesse, piano vivant : d’emblée l’ample respiration de l’Allegro montre une belle force narrative. L’oreille ne cède pas moins au lyrisme très vécu de l’Andante avant un final contrasté, ici agité, là musardant, que le duo emporte avec un tonus amical, sachant muer en imprévu les quelques redites d’un épisode au délicieux parfum populaire.
© Claude Doaré
Messiaen autrement
On change de siècle et d’atmosphère en seconde partie avec le Quatuor pour la fin du Temps. Raphaëlle Moreau et Raphaël Sévère prennent place aux côtés d’Edgar Moreau et de David Kadouch pour l’une des partitions les plus singulières du dernier siècle ; un véritable OVNI musical dont les artistes offrent une interprétation qui restera dans les annales du festival. La Danse de la fureur pour les sept trompettes pourrait tenir lieu d’emblème d’une approche tout en humilité et hauteur de vue : rien de la manière outrancièrement musclée, au premier degré, que l’on entend parfois dans cette sixième partie, mais au contraire, par-delà l’énergie rythmique, des arrière-plans et un mystère ô combien troublants ... Il faut bien sûr saluer, le contrôle du souffle et le sidérant art de la nuance de Raphaël Sévère dans un Abîme des oiseaux d’anthologie, la longueur d’archet d’Edgar Moreau (la Louange à l’éternité de Jésus ! ) et de sa talentueuse sœur Raphaëlle, rayonnante dans l’ultime Louange à l’immortalité de Jésus, subtilement portée par le piano plein de couleurs – et de sens – de David Kadouch. Reste que l’on applaudira d’abord la complicité inspirée, habitée même des quatre instrumentistes, que l’on ne saurait dissocier de l’état d’esprit d’artistes affectés par la récente disparition de Nicholas Angelich. Il fut l’un des musiciens fondateurs du Festival de Pâques de Deauville en 1996, avec Renaud Capuçon, Jérôme Pernoo et Jérôme Ducros, sans oublier, pour fédérer le tout et lui assurer pérennité et renouvellement, un incomparable détecteur de talents nommé Yves Petit de Voize.
© Claude Doaré
Mozart piaffant de bonheur
Si le public deauvillais a eu – bien à tort ! – un peu peur de Messiaen, il s’est laissé attiré en masse le lendemain par le Mozart du Consort. Un concert qui aura permis d’entendre Justin Taylor au clavecin, à l’orgue positif et au pianoforte (des instruments autrefois pénalisés par l’acoustique de la salle Elie de Brignac ; grâce au revêtement de la scène, ils sonnent autrement désormais).
Jean-Chrétien Bach a beaucoup compté dans le développement du jeune Mozart et ce sont les deux tout premiers concertos pour piano (KV 107/1 & 2) du Salzbourgeois, inspirés respectivement des Sonates op. 5 nos 2 et 3 du Bach de Londres, que Taylor et ses partenaires (Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, Anna Salzenstein) ont retenus. On a bien tort de négliger les œuvres antérieures au 5e Concerto KV 175. Musique sous influence que les KV 107, certes, mais quel bonheur de savourer dans une interprétation aussi vivante l’appropriation à laquelle le petit prodige se livre ici. Appropriation créatrice car, loin de se borner à plat arrangement, il fait passer beaucoup de trouvailles personnelles que Taylor et ses compères traduisent dans une interprétation piaffante de bonheur, d’humour aussi – Mozart n’est pas encore totalement lui-même, mais il est déjà bien là !
Comme au théâtre des Champs-Elysées le 13 février dernier, le Consort a programmé la Sonate d’église en ut majeur KV 328. A la différence de Paris, Deauville l’entend avec l’orgue positif, pleine d’une volubilité qui semble traduire l’impatience de Mozart de quitter Salzbourg et Colloredo.
Des doigts idéalement libres et poètes
Après l’entracte, nous sommes à Vienne ; Mozart a pris le risque de la liberté et c’est d’abord son visage le plus intime que Taylor nous offre en solo avec la Fantaisie en ré mineur KV 397. Pièce archi-rebattue mais qui semble naître sous des doigts idéalement libres et poètes.
Le pianoforte trône désormais au milieu de la scène, Mathurin Bouny (alto) et Hugo Abraham (contrebasse) rejoignent le Consort : la conclusion revient au 14e Concerto en mi bémol majeur, musique nourrie du bonheur d’un créateur auquel la vie et la carrière souriaient alors. La version chambriste du KV 449 ne met que mieux en avant son esprit et sa fraîcheur, surtout quand un tel plaisir collectif l’illumine. Deauville confirme le sentiment procuré par le concert du TCE : Justin Taylor et ses musiciens ont décidément beaucoup de choses à nous révéler dans Mozart. Espérons que des enregistrements viendront fixer une relation aussi stimulante que singulière avec ce répertoire.
En bis Vivaldi, pour donner envie de retrouver le Consort cet été à Deauville en ouverture du 21e Août Musical dans le Rosso et Reali (2), et Mozart avec le retour de la Sonate d’église KV 328, pas moins convaincante avec pianoforte.
Alain Cochard
Deauville, salle Elie de Brignac, 29 et 30 avril 2022
(1) L’édition numérique de 2021 ayant permis au Festival de Deauvillle de se perfectionner en matière de streaming, les concerts de 2022, présentés par Tristan Labouret, étaient accessibles en direct sur le site b-concerts.fr et y seront bientôt disponibles à la réécoute ( 60 jours après la date du concert )
(2) Du 29 juillet au 10 août 2022
Photo © Claude Doaré
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