Journal
Le Songe d’une nuit d’été de Britten à l’Opéra de Lille – Inoubliable pyjama party – Compte-rendu
Décidément, l’Opéra de Lille a la main heureuse cette saison : après le magnifique Idoménée de Campra à l’automne dernier, Caroline Sonrier peut compter une nouvelle splendide réussite à son actif, avec ce Midsummer Night’s Dream admirablement mis en scène par Laurent Pelly, tout aussi magistralement dirigé par Guillaume Tourniaire, et fort bien chanté par une nombreuse équipe de solistes. D’ailleurs, devant une réussite aussi complète, on serait bien en peine de démêler les mérites respectifs des uns et des autres, tant les talents fusionnent pour un tout devant lequel on reste bouche bée.
© Simon Gosselin
Magie, poésie, humour, toutes les dimensions de l’œuvre de Britten sont respectées, et cette production relève brillamment le défi auxquels se heurtent toutes celles qui succèdent à la version désormais historique montée à Aix-en-Provence par Robert Carsen en 1991. Grâce à une vingtaine de techniciens qui s’affairent constamment – dans le noir et tout de noirs vêtus, comme des marionnettistes bunraku – Laurent Pelly enchante le spectateur, d’abord par un magistral usage de la lumière : dès le lever du rideau, l’apparition des fées (épatant Jeune Chœur des Hauts-de-France, préparé par Pascale Diéval-Wils, et ses quatre solistes, toutes des jeunes filles comme c’est désormais de plus en plus souvent la règle dans ce genre de formation) nous transporte dans un univers véritablement féerique : le terme peut paraître redondant mais il est ici pleinement mérité. Les prouesses techniques qui permettent à Oberon et Tytania de se mouvoir dans les airs sont stupéfiantes – on a beau savoir comment cela fonctionne, on n’en est pas moins bluffé. Et chapeau aux artistes qui parviennent à chanter divinement dans ces conditions : jamais on n’avait écouté les monologues d’Oberon aussi suspendu aux lèvres du personnage dont Nils Wanderer livre une incarnation inoubliable, tandis que Marie-Eve Munger cumule en Tytania la virtuosité acrobatique nécessaire à plusieurs de ses interventions avec un timbre pulpeux qui confère à la reine des fées une sensualité inhabituelle.
© Simon Gosselin
Carsen situait sa mise en scène dans un vaste lit, Oberon et Tytania était en robe de chambre et nuisette. Avec Laurent Pelly, ce sont les Athéniens qui sont en pyjama et le resteront jusqu’au bout, comme si ce Songe était en fait le rêve d’Hermia, endormie dans son lit au début de l’œuvre. Les lits à roulettes seront bientôt deux, puis quatre, et les scènes entre les amoureux ont toute la drôlerie attendue, sans excès toutefois. Au mezzo délié d’Antoinette Dennefeld répond le soprano charpenté de Louise Kemény, au ténor ardent de David Portillo le baryton solide de Charles Rice. Les ouvriers sont dessinés avec pittoresque mais sans méchanceté, malgré les pantalons feu-de-plancher et les shorts extra-larges : David Ireland révèle une voix superbe en Peter Quince, le Bottom de Dominic Barberi ne tire pas toute la couverture à soi, Gwilym Bowen en Flute évite la caricature, et leurs trois comparses complètent drolatiquement la bande. Tomislav Lavoie est un noble Thésée, Clare Presland une Hippolyta riche de graves.
Guillaume Tourniaire © allegorica.art
Et comme on l’a laissé entendre, ce qui se passe dans la fosse est assez exceptionnel, la direction de Guillaume Tourniaire parvenant à mettre en valeur mille couleurs de la partition, tirant de telle phrase des bois ou des vents une puissance d’émotion jusque-là insoupçonnée. Voilà le genre de spectacle dont on se réjouit de pouvoir dire « J’y étais », mais dont on souhaite très altruistement qu’il connaisse une longue vie, non seulement à Lille mais aussi dans tous les autres théâtres qui auront l’excellente idée de vouloir le programmer.
Signalons enfin que ce Songe d'une nuit d'été fera l’objet d’une retransmission sur grand écran dans une vingtaine de lieux des Hauts-de-France le 20 mai à 20h (1)
Laurent Bury
(1) www.opera-lille.fr/spectacle/le-songe-dune-nuit-dete-live/
Benjamin Britten, A Midsummer Night’s Dream – Lille, 9 mai (2e représentation) ; prochaines représentations les 11, 13, 15, 18, 20 et 22 mai 2022 / www.opera-lille.fr/spectacle/le-songe-dune-nuit-dete/
Photo © Simon Gosselin
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