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Giulio Cesare selon Damiano Michieletto au théâtre des Champs-Elysées – Le martyre de saint Jules César – Compte-rendu
C’est manifestement devant un public de fans que s’est déroulée mercredi soir la première de la nouvelle production de Giulio Cesare in Egitto au Théâtre des Champs-Elysées : Philippe Jaroussky est acclamé dès ses premiers pas dans la fosse, et lors des saluts, un très vigoureux enthousiasme se déchaîne en particulier pour mesdames Devieilhe et Arquez. Mais selon ce qui est en train de devenir une très mauvaise habitude, ce public parisien réserve une bronca à Damiano Michieletto. Pourquoi ? Peut-être simplement parce que le metteur italien a cru pouvoir s’adresser à des adultes et non à des enfants qu’il faut divertir à tout prix.
En effet, depuis que le chef-d’œuvre de Haendel est régulièrement à l’affiche à Paris, il semble indispensable de distraire les spectateurs, d’accumuler les gags à tout prix : c’est ce qu’ont fait, avec des bonheurs divers, messieurs Nicholas Hytner (Garnier, entre 1987 et 2002), Peter Sellars (Bobigny, 1990) et Laurent Pelly (Garnier, 2011-2013), et même madame Irina Brook, en ce même TCE, en 2006. Rien de tel, cette fois, et la représentation se déroule un peu comme une sorte de cauchemar prémonitoire du rôle-titre, qui pressent son assassinat à venir, symbolisé par un entrelacs de fils rouges semblables à autant de traits de sang surgissant de son corps. Ou, ainsi que dans le Martyre de saint Erasme peint par Poussin, comme si ses intestins allaient lui être arrachés.
Fidèle à sa pratique de montrer en arrière-plan des scènes allégoriques de l’univers mental des personnages, Michieletto souligne la présence de la mort dans cet opéra : trois Parques nues apparaissent à intervalles réguliers, et l’ombre de Pompée hante les lieux jusqu’à son apothéose finale en statue de marbre. Alors que l’action est actualisée vers le milieu du XXe siècle, César voit aussi apparaître les conjurés en toge qui le frapperont de leurs poignards. Au total, un spectacle esthétiquement très réussi où, bien entendu, on ne rit pas, ou très peu, où les références à l’Egypte sont très limitées (Cléopâtre finit néanmoins déguisée en « pharaonne » telle qu’Hollywood l’a toujours habillée), et où le contenu sombre est mis en exergue. Espérons qu’il sera plus intelligemment accueilli par le public de Montpellier, de Toulouse et de Leipzig, villes où cette coproduction sera présentée ensuite.
Musicalement, on l’a dit, c’est avec euphorie qu’on été salués les artistes. De fait, la distribution réunit une partie du gratin baroqueux d’aujourd’hui, et la direction attentive de Philippe Jaroussky, à la tête de son ensemble Artaserse, a notamment pour effet, semble-t-il, de les inciter à orner plus que jamais les reprises de leurs arias da capo : en la matière, chacun des chanteurs s’en donne à cœur joie, parant ses lignes mélodiques d’extrapolations dans le grave ou dans l’aigu, ressuscitant ce plaisir de la surprise qu’on imagine avoir pu être celui des spectateurs d’autrefois.
Autre bonne surprise, César échoit enfin à une titulaire adéquate, après avoir été trop souvent confié (à Paris, du moins) à des voix – masculines ou féminines – en difficulté à tel ou tel moment : Gaëlle Arquez est à juste titre ovationnée dans ce rôle car elle est capable d’en respecter toutes les facettes, et sa composition scénique est tout à fait crédible.
Comme on pouvait s’y attendre, Sabine Devieilhe est une Cléopâtre très légère, et elle s’approprie la partition avec les moyens qui sont les siens, multipliant les suraigus dans l’ornementation mais osant aussi parfois quelques notes graves agréablement sonores ; dans l’optique de la mise en scène, le personnage se révèle moins superficiel que d’ordinaire, plus torturé, avec un lieto fine beaucoup moins heureux que prévu.
Parcours inverse pour Franco Fagioli, dont le Sesto d’abord adolescent murit en endossant les habits de son défunt père, et dont le chant toujours expressif traduit les affres vécues par le fils de Pompée. Il revient à Lucile Richardot d’incarner une très noble Cornelia, heureusement débarrassée des effets comiques imposés par certains spectacles (on pense au sort infligé à Anne Sofie von Otter à Salzbourg en 2012).
Dandy décadent, le Ptolémée de Carlo Vistoli est d’une efficacité redoutable, Francesco Salvadori prêtant une belle noirceur à son homme de main Achilla. Et si le rôle sans air de Curio est très correctement tenu par Adrien Fournaison, Paul-Antoine Bénos-Djian relève du luxe insensé en Nireno, lui dont on a pu apprécier l’admirable prestation dans Teodora (1) il y a quelques mois, au TCE également.
Laurent Bury
(1) www.concertclassic.com/article/theodora-de-haendel-au-theatre-des-champs-elysees-zele-des-militants-ferveur-des-convertis
Haendel : Giulio Cesare in Egitto - 11 mai ; prochaines représentations les 14, 16, 18, 20 mai (19h) & 22 mai (17h) 2022 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2021-2022/opera-mis-en-scene-1/giulio-cesare-in-egitto
Reprise à l'Opéra de Montpellier (avec Emöke Barath en Cléopâtre) les 5, 7, 9 & 11 juin 2022 : www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/jules-cesar
Photo © Vincent Pontet
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