Vidée de ses occupants au moment de la Révolution française, l’abbaye cistercienne de Fontfroide, à une quinzaine de kilomètres au sud de Narbonne, fut réinvestie par les moines en 1848, avant d’être à nouveau désertée au tout début du dernier siècle. En mauvais état, le bâtiment aurait pu être démantelé, n’avait été l’intervention de Gustave Fayet (1865-1925), peintre et riche collectionneur biterrois, ami de nombreux créateurs, parmi lesquels Odilon Redon et Paul Gauguin.
Avec sa femme Madeleine, Fayet fit l’acquisition de l’abbaye en 1907 et entreprit de la restaurer.  Dès 1909, les Fayet commencèrent à y accueillir des artistes tels qu’Odilon Redon, George-Daniel de Montfreid, Ricardo Viñes ou Déodat de Séverac, affirmant d’emblée l’esprit d’un lieu qui a pu être décrit comme une « Villa Médicis du Sud de la France ».
 

Gustave Fayet (1865-1925) © DR
 
Comme des saltimbanques
 
Propriété des descendants de Gustave Fayet, Fontfroide a su demeurer pleinement fidèle à cette ouverture aux arts et aux artistes. 2020, sortie du premier confinement : fort des liens qu’il a pu précédemment nouer avec Fontfroide en y organisant des stages pédagogiques, Pierre Génisson propose à l’Abbaye de venir passer quelques jours avec des amis musiciens et d’y donner de manière totalement informelle des concerts dont pourront profiter les visiteurs. « Il n’y avait aucun budget, nous jouions à la recette, comme des saltimbanques, se souvient le clarinettiste. » L’expérience s’avère positive. Elle est renouvelée en 2021, avec succès ! Au point que « l’Abbaye a décidé de pérenniser ce qui, au départ était un peu fait de bric et de broc et d’en faire le deuxième festival de musique d’un lieu qui accueille aussi le Festival Musique et Histoire de Jordi Savall » (dont la dernière édition s’est tenue du 15 au 19 juillet ndlr).
 
Ainsi sont nées les Nuits Musicales de Fontfroide dont la première édition de déroule du 24 au 27 août. Au terme d’un été chargé et très itinérant, Pierre Génisson (photo), directeur artistique de la manifestation, ne cache son bonheur et son impatience de pouvoir « se poser » pour trouver le temps de travailler avec des amis musiciens – «  une chose rare et très appréciable ».
 

Karol Beffa © Amélie Tcherniak
 
Karol Beffa, fil rouge du festival 2022

La résidence d’artiste fait partie de l’ADN de Fontfroide depuis l’origine. Accueillir chaque année un compositeur différent est une évidence pour un directeur artistique qui a cette fois fait appel à Karol Beffa. «Joué tous les jours, il sera le fil rouge du festival. Nous aurons l’occasion de reprendre le Quintette « Vertigo », que j’avais créé avec le Quatuor Hermès au Festival du Périgord Noir l’année dernière. » A l’affiche des 1ères Nuits Musicales, les Hermès feront par ailleurs découvrir le quatuor à cordes que Fontfroide a co-commandé à Karol Beffa avec le Festival Caunes-Minervois. 
Quatre journées sur le calendrier, mais c’est en fait une bonne semaine que Pierre Génisson passera à l’abbaye, avec le Quatuor Hermès donc, mais aussi Delphine Haidan, Julien Beaudiment, Bruno Fontaine, Geneviève Laurenceau, Anna Petron et le comédien Stéphane Varupenne – Yan Levionnois, membre des Hermès, se produira aussi hors quatuor, tandis que Jean-Frédéric Neuburger sera pour sa part tenu à un séjour plus bref en raison d’un agenda chargé (on aura toutefois le bonheur de l’entendre lors du concert de clôture dans le Quintette de Franck en compagnie des Hermès). 
 

Quatuor Hermès © Lyodoh Kaneko

Laisser libre cours à l’imagination des musiciens
 
Côté répertoire, la diversité est de mise, de Mozart à Satie, et les contemporains ne sont pas oubliés, avec Beffa bien sûr, mais aussi Guillaume Connesson. « Il était pour moi essentiel de s’ouvrir à la musique d’aujourd’hui et de laisser libre cours à l’imagination des musiciens présents, confie Pierre Génisson. Pas de thème imposé, j’ai horreur de cela – ça enferme – ; ce que me plait c’est de réunir des musiciens contents de jouer ce qu’ils ont envie de jouer, en essayant de garder le maximum de cohérence évidemment. » Cohérence dont on a un exemple avec le récital de Delphine Haidan ; un programme rassemblant des lieder avec piano et instrument obligé (flûte, violon ou violoncelle).
 
Quant à l’avenir, après cette première édition de quatre jours, Pierre Génisson ne cache pas son ambition d’installer les Nuits Musicales sur une période beaucoup plus longue dans le futur. On souhaite en tout cas bon vent à ce nouveau venu sur la carte des festivals.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Pierre Génisson réalisé le 16 août 2022)