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« Concert pour la démocratie » au Gewandhaus de Leipzig – Ouverture symbolique à l’orée d’une exceptionnelle saison – Compte-rendu
Quelques mouvements avaient certes précédé, mais la date du 9 octobre 1989, qui vit des dizaines de milliers de personnes défiler dans les rues Leipzig, symbolise plus que toute autre la « révolution pacifique », processus qui devait aboutir un mois plus tard à la chute du mur de Berlin, ouvrant la voie à la réunification de l’Allemagne. La cité saxonne n’oublie pas qu’elle fut à la source d’un mouvement décisif pour l’avenir de l’Europe et du monde. Chaque automne elle commémore ces événements politiques, d’ailleurs associés à sa vie musicale. On se souvient en effet que les portes du Gewandhaus, la salle inaugurée en octobre 1981, sur Augustus Platz, juste en face de l’Opéra (totalement reconstruit à la toute fin des années 50, à l’emplacement de l’ancien bâtiment détruit par les bombes en décembre 1943), s’ouvrirent au moment de la « révolution pacifique » pour devenir un lieu de rencontres et de débats entre les citoyens et que le chef d’orchestre Kurt Masur joua là un rôle clef, se posant en modérateur entre le pouvoir communiste et les manifestants.
Concert pour la démocratie
Leipzig est jumelée avec Lyon, Cracovie, mais aussi Kiev. De très nombreux réfugiés ukrainiens sont aujourd’hui présents dans une ville particulièrement consciente du drame qui se déroule sur notre continent. « Concert pour la démocratie » : dans le contexte géopolitique présent, il n’est guère besoin de s’appesantir sur le sens de l’intitulé que la ville de Leipzig et les responsables de l’Orchestre du Gewandhaus (Andreas Schulz en est le directeur général) ont souhaité donné au concert d’ouverture de la saison 2022/2023 de la légendaire formation. Sa 242e saison ... (1)
Une pleine jauge, enfin !
Res severa, verum gaudium (Chose sérieuse que la vraie joie) : la musique est un sujet d’importance à Leipzig ; la devise de Sénèque, que le Gewandhaus a adoptée depuis l’origine (en 1781), en dit long – à nous, peuple littéraire ô combien ... – sur le caractère essentiel de cet art pour nos voisins d’outre-Rhin.
A la direction musicale du Gewandhausorchester depuis 2018, Andris Nelsons est bien évidemment à l’œuvre ce 16 septembre, heureux et ému de voir le auditeurs occuper en quasi totalité les 1900 fauteuils de la salle – les restrictions sanitaires sont levées ; c’est la première fois depuis longtemps qu’un concert avec une pleine jauge est possible au Gewandhaus. Public d’une attention et d’une ferveur rares ...
Evidence du génie
Quoi de mieux pour ces retrouvailles que de commencer par l’un des compositeurs les plus emblématiques de Leipzig après Jean-Sébastien Bach (et qui fit tant pour la redécouverte de ce dernier par le public) : Felix Mendelssohn ? La Symphonie en mi bémol majeur, la sixième d’un ensemble de douze compositions pour cordes écrites entre la douzième et la seizième année du compositeur ouvre la soirée. Andris Nelsons laisse parler la musique avec la plus totale simplicité : évidence du génie de celui que Goethe comparait à l’enfant Mozart ... et beauté de cordes qui, dans le Prestissimo conclusif, parviennent à des nuances dynamiques d’une confondante finesse.
Noirceur et effroi
Une intervention de Burkhard Jung, maire de Leipzig, précède le Concerto n°1 pour piano, trompette et orchestre à cordes de Chostakovitch, que Nelsons dirige avec à ses côtés une Yuja Wang des grands soirs et Gabor Richter, remarquable trompettiste solo du Gewandhausorchester.
L’Opus 35 du compositeur russe est parfois rattaché à une esthétique années 20, assez brillante, presque joyeuse par moment. Les interprètes préfèrent ici envisager la partition en fonction de sa date d’élaboration, 1933, période sombre pour l’URSS – éprouvée par la famine –, comme pour l’Allemagne ... On a bien des fois entendu l’ouvrage, mais rarement, très rarement à ce point empli de noirceur. Une authentique vision s’impose, sous l’autorité d’un Nelsons en pleine osmose avec deux solistes qui ne cèdent jamais l’effet et apparient leurs sonorités au cours d’une lecture parcourue d’ombres menaçantes, avant que l’effroi ne s’empare de la course effrénée du finale. De longs applaudissements disent combien la force et la densité de l’approche ont été comprises et appréciées.
Un Beethoven lumineux et volontaire
Place à la 7ème Symphonie de Beethoven après la pause ; autant dire que les musiciens leipzigois jouent dans leur arbre généalogique. Sous la battue énergique de Nelsons, une conception lumineuse, allante, puissamment volontaire dans ses deux derniers mouvements s’impose – le deuxième épisode est un vrai allegretto. A chaque pupitre, l’engagement des membres d’une des plus belles phalanges européennes force l’admiration. Nombre d’enregistrements permettent de goûter à la patine unique du Gewandhausorchester, mais rien ne saurait remplacer l’expérience consistant à l’éprouver en direct, dans sa maison, surtout quand un maestro tel que Nelsons est aux commandes.
Une grande année pour Mendelssohn à Leipzig
Ouverture à forte dimension symbolique, ce « concert de la démocratie » se situe à l’orée d’une saison particulièrement riche pour la phalange saxonne. Avec le 175e anniversaire de la mort de Mendelssohn et le 25e anniversaire de l’inauguration de la Mendelssohn-Haus de Leipzig, les Mendelssohn-Festtage 2022 prennent un relief tout particulier cette année, du 31 octobre au 6 novembre.(2) On y retrouvera l’Orchestre pour un programme symphonique le 3 novembre, sous la direction d’Andrés Orozco-Estrada, mais aussi nombre de rendez-vous chambristes et des récitals de lieder et de piano. Et pour tout ceux qui feront le déplacement à Leipzig, ce sera aussi l’occasion de découvrir la Mendelssohn-Haus.(3) Ce musée installé dans l’immeuble dont le musicien occupa le premier étage durant les deux dernières années de sa vie se révèle aussi instructif qu’émouvant à visiter tant il procure la sensation d’entrer dans l’intimité de la famille Mendelssohn. Sœur de Felix, Fanny Hensel (1805-1847) n’a certes jamais vécu à Leipzig, mais constitue toutefois l’objet du deuxième étage du musée ; ce qui n’est que justice envers une admirable compositrice encore trop méconnue.
Le Festival Mahler en ligne de mire
Reste que le grand rendez-vous de la saison est attendu du 11 au 29 mai 2023 avec un Festival Mahler (4) qui promet d’attirer à Leipzig des mélomanes venus du monde entier. Ce grand raout d’orchestres internationaux permettra de retrouver, outre le Gewandhausorchester, le Budapest Festival Orchestra, le City of Birmingham Orchestra, le Gustav Mahler Jugendorchestrer, le Münchner Philharmoniker, le Royal Concertgebouw Orchestra, la Säcksische Staatskapelle Dresden, l’Orchestre de la Radio bavaroise et la Philharmonie tchèque. Excusez du peu ! Inutile de préciser que l’intégrale des symphonies du compositeur autrichien sera donnée au cours d’une quinzaine marquée par bien d’autres événements. Die drei Pintos, opéra-comique de Weber terminé par Mahler, présenté lors de la soirée inaugurale sous la direction Petr Popelka, ne sera sûrement pas le moins couru.
Alain Cochard
(2) Mendelssohn-Festtage 2022 : www.gewandhausorchester.de/mendelssohn-festtage/
(3) Pour en savoir plus sur la Mendelssohn-Haus : www.youtube.com/watch?v=uhsLulK4LQkv
(4) Mahler Festival 2023 www.gewandhausorchester.de/mahler-festival/
Leipzig (Allemagne), Grande Salle du Gewandhaus, 16 septembre 2022
Photo © Christian Modla
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