Journal
David et Jonathas de Charpentier à la Chapelle royale de Versailles – La guerre en dentelle – Compte-rendu
Que les œuvres connaissent les incarnations les plus diverses au fil des années, c’est ce dont il faut se réjouir. Et puisque David et Jonathas de Charpentier n’est pas si souvent joué, tant mieux si on nous le présente sous des aspects bien différents. En 2012-13, le Festival d’Aix-en-Provence et l’Opéra-Comique avaient confié à Andreas Homoki la mise en scène de cette curieuse tragédie, à l’origine débitée en tranches séparées par les actes d’une pièce en latin jouée par les élèves du lycée Louis le Grand. Dix ans plus tard, Versailles sollicite l’équipe de l’Opera Atelier Toronto, qui a déjà proposé plusieurs Lully dans le cadre de l’Opéra royal : Marshall Pynkoski à la mise en scène, Jeanette Lajeunesse Zingg pour la chorégraphie. Mais pour une fois, décors et costumes n’arrivent pas du Canada, puisqu’ils ont signés d’Antoine Fontaine et de Christian Lacroix, le tout dans la Chapelle du château, pour nous rappeler l’aspect biblique de la chose.
© Agathe Poupeney
Comme on pouvait le prévoir, le résultat se situe à l’exact opposé de la production aixo-parisienne. Là où Andreas Homoki s’efforçait de donner une vraie consistance dramatique à une partition fragmentée (quitte à bouleverser l’ordre des scènes, en plaçant la consultation de la pythonisse non plus en prologue mais au milieu de la représentation), et transposait l’action vers le milieu du XXe siècle, entre Palestiniens et les colons israéliens, le spectacle versaillais mise au contraire sur le faste visuel : celui du lieu, bien sûr, à peine masqué par la structure qui tient lieu de décor, avec escaliers symétriques menant à une plate-forme et immense tente rouge dont les pans se soulèvent, mais aussi celui des costumes, pour lesquels Lacroix s’inspire des couleurs et des formes de l’art du XVIIe siècle : pour les dames, on songe aux beautés de la cour d’Angleterre peintes en déesses par Van Dyck et Lely ; pour les principaux rôles masculins, cuirasses et rhingraves brodées d’or, les comparses se voyant infliger la tenue habituellement imposée aux protagonistes de l’Opera Atelier, bottes molles et veste de pirate.
Gaëtan Jarry © François Berthier
Quant à la dramaturgie, elle se réduit ici au strict minimum, sans que l’on cherche vraiment à en faire comprendre les enjeux au public : on voit ici quelques messieurs qui se disputent, leurs querelles étant séparées par des danses et des chants, même si, au dernier acte, la guerre (en dentelle) prend le dessus, et que le metteur en scène ose montrer le triomphe amer de David couronné en le faisant s’effondrer sur sa plate-forme de gloire.
Musicalement, Gaëtan Jarry déploie tout le faste de la musique de Charpentier à la tête de la trentaine d’instrumentistes de l’ensemble Marguerite Louise, soulignant les moments de pompe et d’éclat, mais soignant autant la déploration sur la mort de Jonathas. Au chœur Marguerite Louise, très en voix, s’adjoint un « petit chœur » où l’on reconnaît quelques belles voix qui se sont illustrées ailleurs : le haute-contre Romain Champion, qui fut jadis Atys pour Hugo Reyne, Laurent Deleuil, familier des scènes d’opéra françaises, ou la belle voix grave de Blandine de Sansal parmi les cinq dessus.
© Agathe Poupeney
Confrontés à l’acoustique difficile de la Chapelle royale, les solistes se font d’autant mieux entendre qu’ils se placent au centre et sur le devant de la scène. Dans ce cadre, les voix graves ne sont pas les plus flattées, mais Geoffroy Buffière prête à l’ombre de Samuel des notes caverneuses à souhait, Virgile Ancely a toute l’autorité nécessaire en Achis, et David Witczak parvient à conférer une véritable émotion à son incarnation de Saül. Antonin Rondepierre est un Joabel haineux, mais la mise en scène ne l’aide guère à affiner son personnage. François-Olivier Jean possède en pythonisse une projection tout à fait admirable, et fait éclater une belle personnalité ; on regrette que sa scène pâtisse d’évolutions banales de danseurs en maillot. Avec Caroline Arnaud, le choix a été fait d’un Jonathas a la voix adolescente, sans vibrato, et le physique presque enfantin du personnage, sans oublier sa coiffure très féminine, retire une partie de son impact à sa relation avec David (mais pourquoi alors laisser les deux héros s’embrasser sur la bouche, juste avant l’entracte ?). Reinoud van Mechelen campe un David somptueux, à l’aigu glorieux et à la sensibilité à fleur de peau, non sans la vaillance qu’exige le rôle du vainqueur des Philistins.
Nul doute que l’enregistrement qui doit suivre figurera en bonne place dans la disco-vidéographie de l’œuvre.
Laurent Bury
Photo © Agathe Poupeney
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