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Reprise de 42nd Street au Châtelet – Au paradis des claquettes – Compte-rendu
C’est une comédie musicale, mais c’est presque un ballet : avec ses époustouflants numéros chorégraphiques incluant l’ensemble de la distribution, 42nd Street semble avant tout fait pour les amateurs de claquettes, mais pas seulement, puisque l’on y chante à peu près autant que l’on y danse. Pourtant, ce musical n’est pas exactement un classique du genre, puisque c’est seulement en 1980 que naquit dans l’esprit du producteur David Merrick l’idée d’adapter pour la scène le film du même nom, sorti en 1933, d’après un roman publié l’année précédente. En 2016, Jean-Luc Choplin en avait présenté une version, avec un succès tel qu’on aurait dû la revoir dès 2020 ; la pandémie en a décidé autrement et, deux annulations plus tard, c’est donc pour Noël 2022 que cette production revient dans le théâtre où elle a été créée.
Emily Langham (Peggy Saw) & Jack North (Billy Lawlor) © Thomas Amouroux
Malgré son titre, cette comédie musicale ne se déroule pas dans une rue, mais dans un théâtre, la 42e et son carrefour avec Broadway, Times Square, étant dans les années 1930 un point de concentration des lieux de divertissement. L’intrigue n’est pas sans rappeler All About Eve, mais dans une version où (presque) tous les personnages du film de Mankiewicz seraient gentils : une jeune débutante s’y substitue à une star vieillissante, non parce que ses dents rayent le parquet, mais simplement pour sauver un spectacle sur le point d’être annulé, tandis que son aînée, d’abord détestable, se montre une bonne collègue. On suit donc simultanément le montage d’un musical depuis l’embauche des danseurs jusqu’au soir de la première, et même l’idylle obligée sait se faire discrète, le récit se terminant non sur quelque baiser hollywoodien, mais sur le triomphe de l’homme qui, depuis le début, lutte pour mettre en scène Pretty Lady. L’unité de l’œuvre vient d’abord de la musique, puisque toutes les chansons sont dues à Harry Warren (1893-1981): à celles du film de 1933, il a en effet fallu en ajouter beaucoup d’autres, mais conçues par le compositeur pour différents films de la même décennie. Comme en 2016, Gareth Valentine sait retrouver, à la tête de l’Orchestre du Châtelet, l’esprit d’une époque désireuse d’oublier le Krach de 1929.
Rachel Stanley (Dorothy Brock) © Thomas Amouroux
Dans sa mise en scène, Stephen Mear se montre lui aussi soucieux de ne pas trahir l’époque : avec la complicité des décors et costumes de Peter McKintosch (poutrelles métalliques et couleurs pastels), il inclut un hommage à Certains l’aiment chaud (la scène du train-couchettes) et s’offre même le luxe d’un premier final où les dames arborent d’extravagantes tenues qui pourraient avoir été dessinées par Erté. Les tableaux s’enchaînent et en mettent plein la vue avec une inventivité qui ravit.
Par rapport à la distribution de 2016, on ne compte que deux rescapés : Charlie Allen dans le petit rôle de Lorraine Fleming, et surtout Alex Hanson qui incarne Julian Marsh, le metteur en scène, qui chante assez peu au cours du spectacle, mais à qui sont laissés les derniers mots, ultime salut à Broadway.
© Thomas Amouroux
En 2019, au Théâtre Marigny, Rachel Stanley était la mère de Fanny Brice dans Funny Girl (également monté par Stephen Mear) : on la retrouve dans le rôle de la star odieuse, où la cocasserie de son jeu – elle est censée ne pas savoir danser – n’a d’égale que l’intensité de son chant. Autre habituée de la scène musicale britannique, Annette McLaughlin confère une énergie irrésistible et une dégaine assez incroyable à Maggie Jones, co-auteur de Pretty Lady. Dans le rôle de la débutante qui débarque d’Allentown, Pennsylvanie, Emily Langham fait elle aussi des étincelles, avec sa métamorphose de petite souris (mais très douée pour les claquettes) en nouvelle star. Si la voix de Jack North est parfois un peu nasale, ce jeune premier fait plus que compenser par son brio de danseur. On remarque aussi la prestation de Jess Buckby dans le rôle que tenait Ginger Rogers dans le film, « Anytime Annie », mais tous les artistes contribuent à la réussite de cette soirée dont on sort avec des étoiles dans les yeux.
Laurent Bury
Photo : Jack North (Billy Lawlor) & Emily Langham (Peggy Saw) © Thomas Amouroux
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