Aux commandes de l’Orchestre national de Metz Grand Est depuis 2018, David Reiland (photo) et ses musiciens nous offrent, sous le titre « Poétesses symphoniques », un bel et cohérent enregistrement (1) rassemblant des pages d’Augusta Holmès (Andromède), Lili Boulanger (D’un matin de printemps/D’un soir triste), Mel Bonis (Femmes de légende) et – incursion dans le domaine contemporain – la délicieuse Little Summer Suite de Betsy Jolas, pour la première fois au disque. Une probante illustration de la qualité du travail effectué par Reiland depuis qu’il a pris les rênes de la phalange lorraine en 2018 et un répertoire qui s’inscrit pleinement dans la veine française cultivée à l’époque de Jacques Mercier.
 

Un bonheur ne vient jamais seul : deux concerts, l’un messin (3 février), l’autre parisien (4 février), accompagnent la sortie de l’enregistrement, avec un programme (intitulé « Chanter l’amour ») centré sur la figure singulière et passionnante d’Augusta Holmès (1847-1903). Si le nom de la compositrice a été gommé de bien des histoires de la musique après sa disparition – on lui faisait faisait payer post mortem, et à plein tarif !, son goût de la liberté, si défrisant pour les préjugés et conventions de son temps – cette artiste au caractère solidement trempé connut bien des réussites ... jusqu'à l’échec de La Montagne noire ; échec face à la gent critique (qui n’admettait pas que les portes des théâtres lyriques s’ouvrent à des femmes auteurs) d’un opéra que le public reçut pour sa part chaleureusement le 8 février 1895 au Palais Garnier (avec une Lucienne Bréval de 25 ans dans le rôle de Yamina et Paul Taffanel à la baguette).
 

Augusta Holmès, d'après un dessin de Marie Huet - Musica, février 1903 © Bibliohèque du Conservatoire de Genève

Admirée de Liszt, Gounod, Franck (son professeur), Massenet, Saint-Saëns, Hahn, Augusta Holmès connut pourtant de beaux succès : c’est à elle que la jeune IIIe République – faisant grincer quelques dents ... – commanda une Ode triomphale pour le centenaire de la Révolution française (jouée à trois reprises les 11, 12 et 14 septembre 1889, sous la direction de Colonne, au palais de l’Industrie), à elle encore que la non moins jeune Italie fit appel en 1890 pour célébrer Dante, ou plus exactement Beatrice Portinari, muse du poète florentin, avec l’Hymne à la paix.
Ces commandes qui ne tombaient par du ciel : durant les années 1880, la compositrice s’était distinguée avec des poèmes symphoniques tels qu’Irlande (1882) ou Pologne (1883). Cette dernière pièce, héroïque et très visuelle (inspirée du tableau « Le Massacre des Polonais à Varsovie » de Tony Robert Fleury), figure au programme de David Reiland, tout comme Andromède, exactement contemporaine mais qui attendit janvier 1900 pour être révélée par la baguette d’Edouard Colonne. On entendra aussi La Nuit et l’Amour, sensuel intermède symphonique tiré de Ludus pro Patria, ode-symphonie avec laquelle Holmès triompha en 1888  – l’enthousiasme du public fut tel le 4 juin que l’on redonna l’ouvrage quelques jours plus tard !
 

Ann Petersen © DR

Wesendonck-Lieder (par la mezzo Ann Petersen), ouvertures des Fées et de Tannhaüser : Richard Wagner tient compagnie à Augusta Holmès dans les programme de l’Orchestre de Metz. Rien de plus normal. Outre le fait que la compositrice, emmenée par Catulle Mendès et Villiers de L’Isle-Adam, rencontra à 22 ans l’auteur de Lohengrin à Trisbchen, elle ne fut pas sans subir son influence par la suite  – Andromède en apporte la preuve.
Nul besoin de s’attarder sur la partie wagnérienne de la soirée, si ce n’est pour dire le plaisir que l’on aura à entendre l’ouverture des Fées, le très weberien premier opéra d’un compositeur de 20 ans. Ne manquez pas les deux rendez-vous de Reiland et de ses troupes, Augusta Holmès vous réserve de belles surprises !
 
Alain Cochard