Journal
Parsifal selon Michael Thalheimer au Grand Théâtre de Genève – Les chevaliers zombies – Compte-rendu
Qu’est-t-il arrivé aux chevaliers du Graal ? Une guerre ? Une épidémie ? Un holocauste ? Comme surgis d’un présent d’apocalypse, ils arborent des crânes rasés, des corps meurtris, des redingotes poisseuses de sang. Car le metteur en scène, Michael Thalheimer, aime le sang, comme vient de le démontrer, à Anvers et à Düsseldorf, un Macbeth radical et controversé où, déjà, l’organe liquide jaillissait des bouches et tapissait les corps.
Christopher Maltman (Amfortas) © Carole Parodi - GTG
Ce Parsifal, également coproduit avec Düsseldorf, interroge notre monde et la possibilité de le sauver. Ou pas. Sans spolier un final tout de lumière et de pureté, le spectacle, en parfaite adéquation avec le Festival sacré du sorcier de Bayreuth, s’avère un cérémonial inscrit au cœur de monolithes tournant sur le plateau. Ils s’ouvrent parfois sur le néant et, comme les torii japonais, dessinent un espace cruciforme où se jouent les souffrances d’Amfortas et les séductions de Kundry. Ce sera l’unique référentiel christique de la production.
Tareq Namzi (Gurnemanz), Daniel Johannsson (Parsifal) & Tanja Ariane Baumgartner (Kundry) © Carole Parodi - GTG
L’intégralité du premier acte abonde en giclures de sang et en graffitis abscons. Chez Thalheimer, Gurnemanz a un rôle de premier plan, il est l’initiateur, le prédicateur, le commentateur. Apparu en infirme, traînant des jambes mortes, appuyé sur des cannes anglaises, la jeune basse allemande Tareq Nazmi est condamné à des prouesses physiques qui n’altèrent pas son timbre profond, confortable, au souffle ample, à l’émotion constante. Avec une telle prestation, le temps passe sans lasser durant les roboratifs monologues de l’acte I. Il est l’une des belles découvertes d’un casting de haut vol hélas que ne salue pas comme il se devrait un public à la politesse bien réservée. L’Amfortas déchiré de Christopher Maltman méritait plus d’attention et de ferveur. Peut-être que la relative neutralité du timbre n’a pas su séduire, au contraire du mordant Klingsor de Martin Gantner, grimé comme un mage asiatique et pervers.
Tanja Ariane Baumgartner (Kundry) © Carole Parodi - GTG
Le deuxième acte comble quiconque trouve l’actuel chant wagnérien en déshérence. La Kundry de Tanja Ariane Baumgartner est une soprano tendance mezzo, confortable sur toute la tessiture, aux aigus jamais perçants, et dont les rondeurs de timbre évoquent Christa Ludwig dans ce même rôle. Son « Ich sah das Kind an seiner Mutter Brust » est davantage maternel que séducteur. La dramaturgie lui réserve l’honneur d’abattre Klingsor à coups de revolver. C’est l’une des belles idées de la mise en scène que d’en finir avec ce lieu commun de la pécheresse repentante, destinée à absoudre les péchés du mâle. Ici, sa révolte et sa présence renversent un ordre masculin corrompu, abonné à la castration ou à son peu ragoutant cérémonial de sanies qui les transforme en zombies.
Tanja Ariane Baumgartner trouve en Daniel Johannsson (photo) un Parsifal comme on rêverait d’en entendre souvent. Le ténor suédois avait déjà séduit le public genevois dans le rôle de Pierre Bézoukhov dans Guerre et Paix en 2021. Exploit renouvelé. Dans la catégorie des ténors wagnériens, si difficile à renouveler, Daniel Johannsson montre un timbre clair et puissant, charnu et jamais beuglant, capable de toutes les finesses que réclament l’héroïque fragilité des Lohengrin, Parsifal et Siegmund. Loin d’une prestation athlétique et forcée, son « Nur ein Waffe taugt » est chanté sur le fil, avec une finesse rayonnante.
Jonathan Nott © Guillaume Megevand
En fosse, Jonathan Nott livre un Wagner limpide, aérien, à la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande qui poursuit la tradition d’Ansermet et d’Armin Jordan, même si on aurait préféré une musique de transformation plus acérée dans son pathétique. On songe plus d’une fois à l’enregistrement Erato du Parsifal de Syberberg (1982). Les chœurs du Grand Théâtre stupéfient par leur ampleur, leur transparence, sous la direction d’Alan Woodbridge. La cérémonie du Graal est une effusion, le final une assomption. Quant aux filles-fleurs en robes moulantes et flashy, Julieth Lozano, Tineke van Ingelgem, Louise Foor, Valeriia SavinskaIa, Ena Pongrac, Ramya Roy, forment un bouquet savamment équilibré.
Vincent Borel
Wagner : Parsifal – Genève, Grand Théâtre, 27 janvier ; prochaines représentations 29, 31 janvier, 2 février & 5 février
www.gtg.ch/saison-22-23/parsifal/#boxzilla-46031
Photo © Carole Parodi - GTG
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