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Serse de Haendel à Rouen – Tous les garçons et les filles de mon âge – Compte-rendu
Il faudrait être bien naïf pour croire que l’opera seria dispense des leçons d’Histoire, et pour espérer s’instruire sur Xerxès en allant voir Serse. Le livret de Minato, réécrit quarante ans plus tard par Stampiglia, et réutilisé un demi-siècle encore après par Haendel, n’a rien à nous apprendre sur le roi de Perse ou sur les guerres médiques, malgré l’inclusion de quelques détails légendaires (son amour pour un platane, son pont de vaisseaux). Il a bien plus à nous dire sur les détours du cœur humain, et comme c’est un bon livret, il n’a rien perdu de son efficacité.
© Marion Kerno
Clarac & Deloeuil > Le Lab ont eu raison de s’affranchir de ce pseudo contexte historique, et puisque les affects des différents personnages s’apparentent plus aux émois adolescents qu’au comportement d’adultes rationnels – Ariodate, père de Romilda et Atalanta, est le seul personnage d’âge mûr –, leur mise en scène nous montre des jeunes gens parmi lesquels amours et désamours vont bon train, des jeunes d’aujourd’hui qui se divertissent comme on se divertit aujourd’hui. Le palais à volonté du théâtre classique est ici un skatepark où s’affrontent les rivaux, lieu unique où tous se retrouvent pour y évoluer sur leurs planches, trottinettes ou vélos. On craint d’abord le pire lorsque l’on entend tous ces bruits de roulettes par-dessus « Ombra mai fu », mais les metteurs en scène ont ensuite la sagesse et le bon goût de limiter les déplacements les plus sonores aux récitatifs, afin de nous laisser pleinement apprécier les plus beaux airs.
La transposition fonctionne, permet des effets amusants et rend vivants ces héros et héroïnes dont l’univers galant n’est finalement pas si éloigné de celui de toute comédie romantique. Bravo aux chanteurs qui se sont pliés à l’exercice, même si le seul véritable virtuose de la planche est ici Jakub Józef Orliński, dont on connaît les compétences en breakdance, les figures les plus acrobatiques étant réservées aux cinq skaters et « trottriders » que l’on voit parcourir la scène en direct ou sur les vidéos projetées sur un grand écran en fond de décor, écran sur lequel on voit aussi s’exprimer d’authentiques jeunes Rouennais qui commentent les mœurs du milieu des roues et roulettes.
© Marion Kerno
Autre pari : l’Opéra de Rouen n’a pas fait appel à une formation spécialisée dans la musique ancienne, comme cela se pratique désormais de plus en plus, et c’est l’orchestre maison qui interprète la partition de Haendel, complété par quelques instrumentistes plus baroqueux (claveciniste, théorbiste) et guidé par la baguette experte de David Bates. Le son diffère de ce que nos oreilles ont pris l’habitude d’entendre dans ce répertoire, mais le style est le bon et, même avec un orchestre moderne, l’époque est heureusement passée où l’on remplaçait systématiquement les castrats par des ténors ou des basses ! On regrette néanmoins que, pour des raisons économiques ou dramaturgiques, l’œuvre soit amputée de ses chœurs.
© Marion Kerno
C’est en tout cas une fort belle distribution qui est réunie à Rouen, avec quelques-uns des artistes aujourd’hui les plus en vues dans ce type d’opéra. Riccardo Novaro a très peu à chanter dans le rôle buffo d’Elviro, mais il le fait fort bien. D’Ariodate, Luigi de Donato possède les graves et toute la bonhomie. Sans être un authentique contralto, Cecilia Molinari maîtrise la tessiture d’Amastre et sait conférer l’intensité voulue à ce personnage travesti. Romilda et Atalanta trouvent en Mari Eriksmoen et Sophie Junker deux interprètes de grande qualité, toutes deux irréprochables dans leur virtuosité mais avec des couleurs bien différentes, la soprano norvégienne plus piquante, ses ornements s’aventurant davantage vers le suraigu, sa consœur belge ayant une voix peut-être plus centrale, aux accents plus sensuels. Et pour les deux frères ennemis, ce sont deux des contre-ténors vedettes à l’heure actuelle qui sont présents sur la scène du Théâtre des Arts, deux chanteurs aux timbres bien distincts : tandis que le gentil Arsamene est incarné par Jakub Józef Orliński, plus apollinien, plus « jarousskyen », le caractériel Serse voit triompher le plus dionysiaque, plus « fagiolien » Jake Arditti ; aux sons plus droits du Polonais, exaltant la pureté du personnage, le Britannique répond par un vibrato plus affirmé qui traduit parfaitement l’ardeur du tempérament du rôle-titre.
La salle était pleine pour cette troisième et dernière représentation rouennaise, mais la présence de caméras devrait bientôt permettra à davantage encore de spectateurs d’apprécier la réussite de cette production.
Laurent Bury
Haendel : Serse - Opéra de Rouen, 14 mars 2023 (dernière des trois représentations). Spectacle coproduit avec le Staatstheater Nürnberg
Photo © Marion Kerno
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