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La chronique d'Emilie Munera - Subtile mélodie française
Tandis que la Semaine de la langue française et de la Francophonie s’achève, se tiendra bientôt à Paris, salle Cortot, le « Printemps de la Mélodie » de l’Académie Francis Poulenc (1) : voilà donc une belle occasion de s’attarder sur ce genre si singulier et typiquement dans l’esprit français qu’est la mélodie.
Il connut son apogée au XIX et XXe siècles, inspirant nos plus grands musiciens, qui succombèrent pratiquement tous à son attrait. Les règles de la mélodie sont strictes : le compositeur s’engage à ne jamais céder sur la part du texte et de la poésie. La ligne vocale doit être entièrement dédiée au mot, même s’il faut pour cela renoncer aux grandes effusions lyriques et sentimentales. Ce qui amène certains à penser que la mélodie demeure avant tout, un genre littéraire. Cet attelage si particulier explique peut-être pourquoi la mélodie a parfois du mal à élargir son public. On lui reproche sa diction ampoulée (avec ses “r” roulés) – les choses ont beaucoup changé, heureusement, sur ce plan –, ses sentiments pudiques, ses ambiances mélancoliques et vaporeuses, ses lignes vocales étranges. Son « esprit a très vite cessé d'être celui de la chanson populaire » confirme d’ailleurs Charles Koechlin, ajoutant que la mélodie s’est vite affirmée comme une des manifestations les plus « aristocratiques » de la musique.
Le baryton François Le Roux, directeur artistique de l'Académie Francis Poulenc de Tours et fervent avocat de la mélodie française © DR
Si la mélodie requiert un effort du mélomane, elle en réclame également un, très grand, de la part des artistes. Interpréter des mélodies françaises est un défi pour tout musicien (chanteur et pianiste) : comment appréhender, au mieux, le raffinement sonore de ce répertoire ? Comment ne pas trahir le texte tout en valorisant la musique ? Comment émouvoir avec un matériau si intime ? Subtil équilibre. Nombreux sont ceux qui s’y sont attelés, rares sont les références. Quelles sont les vôtres ? Régine Crespin, Gérard Souzay, Gabriel Bacquier ? José van Dam ? Bernard Kruysen ? Les anglo-saxons peut-être ? Felicity Lott, Susan Graham ou Jessie Norman se sont révélées de superbes interprètes de notre répertoire.
Cyrille Dubois & Tristan Raës © Rocco Grandese
En France, plus récemment, Véronique Gens et Cyrille Dubois (auteur d’une magnifique intégrale Fauré, avec Tristan Raës au clavier) (2) se sont imposés comme d’excellents conteurs. Tout comme Sandrine Piau qui s’affirme depuis quelques années dans des programmes associant lieder et mélodies. Après un triptyque enregistré avec Susan Manoff, elle s’est récemment alliée à David Kadouch pour nous proposer un « Voyage intime », inspiré et musical. Cette grande interprète du baroque français sait d'expérience que musique, théâtre et texte participent du même impact. Dans son dernier enregistrement (3), sa voix est un ravissement de légèreté, de pureté et de sensibilité. Quant à David Kadouch, son piano distille d’infinies nuances.
L'intégrale des mélodies de Lili et Nadia Boulanger par Lucile Richardot, une remarquable entreprise à laquelle prennent aussi part Raquel Camarinha, Stéphane Degout, Emmanuelle Bertrand et Sarah Nemtanu
Autre interprète à nous avoir récemment ébloui par sa diction et sa compréhension du répertoire : la mezzo Lucile Richardot (qui a connu également ses premier succès dans le répertoire baroque français). Dans son intégrale des mélodies des sœurs Boulanger (4), avec la pianiste Anne De Fornel, pas un mot ne nous échappe : son timbre est d’une richesse absolue, sa voix emplie d’une chatoyance de couleurs et elle soigne chaque nuance des textes.
A l’instar des sœurs Boulanger, nombreuses sont les compositrices françaises à s’être dédiées à l’art de la mélodie, comme on le découvre dans le très beau coffret du Palazzetto Bru Zane, consacré à l’art de 21 créatrices, auquel le duo Dubois/Raës apporte une importante contribution.(5) La soprano Marie-Laure Garnier, accompagnée par Célia Oneto Bensaid, a d’ailleurs elle aussi récemment mis en valeur la musique d’une femme dans son dernier récital (6), en la personne de Charlotte Sohy. Elle a rapproché les Chants nostalgiques op. 7 de cette compositrice récemment redécouverte, de pages de deux de nos plus grands mélodistes : Chausson et Fauré. Pour leur rendre pleinement justice, Marie-Laure Garnier a ajouté au piano les archets du Quatuor Hanson.
On retrouve une formation de ce type – le Quatuor Dutilleux en l’occurrence – dans le dernier projet de la chanteuse Noëmi Waysfeld. La musicienne, qui aime à mélanger les genres, aborde les plus beaux poèmes harmonisés par Fauré, Duparc, Poulenc mais aussi Cora Vaucaire, Léo Ferré et Serge Gainsbourg.(7) Une autre perspective pour la mélodie, qui l’inscrit dans le continuum de notre répertoire populaire, soulignant qu’elle n’est finalement pas seulement réservée à l’élite. Mais qu’elle s’offre à qui veut bien s’ouvrir à sa subtilité
Emilie Munera
(1) 5ème Printemps de la Mélodie : 2 avril 2023 (14h-17h30), salle Cortot : www.sallecortot.com/concert/5eme-printemps-de-la-melodie.htm?idr=38461
(2) 3 CD Aparté / Bru Zane
(3) « Voyage intime » - Alpha
(4) « Les heures claires », intégrale des mélodies – 3 CD Harmonia Mundi
(5) « Compositrices » - 8 CD Bru Zane - www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-70-des-femmes-instrumentistes-et-compositrices-lopinion
(6) « Chansons nostalgiques », avec Célia Oneto Bensaid et le Quatuor Hanson - 1 CD - B. Records « L’Estran live »
(7) « Le Temps de rêver », avec le Quatuor Dutilleux, David Kadouch, Antoine Rozenbaum – 1 CD Sony Classical
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