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Carmen à l’Opéra-Comique – Je marche sur tous les chemins – Compte-rendu
Mettre en scène l’opéra le plus populaire au monde, dans l’institution dont il est un pilier, voilà qui n’est pas tâche facile. Loin de se laisser décourager, Andreas Homoki relève le défi en multipliant les angles d’attaque : comme Manon, l’autre star de la maison, sa Carmen « marche sur tous les chemins », certaines pistes étant aussitôt essayées qu’oubliées. La production qu’il signe a néanmoins un leitmotiv, répété ad nauseam : le théâtre dans le théâtre, avec plateau nu (un de ces nouveaux académismes contre lesquels on voudrait un moratoire), rideau rouge en guise de décor, qui ne cesse de s’ouvrir et de se refermer, rampe en fond de scène comme si la salle se situait derrière et éclairages ouvertement « théâtraux », avec poursuites, etc.
A part ça, chaque tableau semble adopter une approche possible, toutes s’empilant au risque de l’incohérence. Rien qu’au premier acte, on nous montre d’abord un homme d’aujourd’hui égaré dans un théâtre vide, bientôt contraint de tenir le rôle de Don José, auquel rien ne le destine. Ensuite, la place de Séville devient un théâtre où l’on donne Carmen dans les années 1870-80, les soldats et passants étant remplacés par le public bourgeois de l’époque ; prises par le démon de midi, ces dames arrachent vite leurs robes à tournure pour devenir cigarières, ou plutôt pensionnaires d’une maison close attendant le client. Après l’entracte, les contrebandiers sont transportés sans raison apparente dans les années 1930 ou 1950. Enfin, la corrida se déroule de nos jours, sur un téléviseur devant lequel le chœur se trémousse et s’excite comme une foule moderne assistant à un événement sportif (ce qui explique qu’on ait supprimé les interventions de l’officier achetant des oranges).
Dans tout cela, Micaëla devient d’abord une ouvreuse, puis une dame de la Croix-Rouge, et comme il ne faut surtout pas en faire une oie blanche, les dames/gourgandines du premier acte lui font goûter une de leurs cigarettes. Pour autant, Escamillo est en tenue de torero dès sa première apparition, et Carmen elle-même reste l’éternelle aguicheuse en jupons, à cela près que les dialogues parlés, ici conservés mais raccourcis, lui donnent plutôt l’air d’une tragédienne déclamant des alexandrins.
La distribution est elle aussi un peu hétéroclite. Peut-être pour l’avoir déjà beaucoup chanté à l’étranger, Gaëlle Arquez (photo) semble assumer tout le poids des traditions lestant le personnage, sans qu’une direction d’acteur l’aide à se l’approprier de façon plus personnelle ; au moins a-t-elle la voix du rôle et toute la prestance nécessaire. Face à elle, on se demande d’abord si Frédéric Antoun a eu raison d’aborder Don José. Malgré une incarnation soignée, le timbre paraît terni, engorgé, et l’on ne reconnaît qu’à de rares moments un artiste dont les qualités sont pourtant bien réelles. Une annonce à l’entracte vient éclaircir le mystère : bien qu’indisposé, le ténor souhaite aller jusqu’au bout de la représentation. On remettra donc tout jugement à une autre fois.
Intéressante découverte avec Elbenita Kajtazi, que certains ont pu voir en Suzanne des Noces de Figaro à Lyon : la soprano kosovare, dont la carrière s’est jusqu’ici surtout déroulée en Allemagne, n’en chante pas moins dans un français tout à fait irréprochable (on guette sa Juliette prochainement à Rouen) et mène son chant avec autant d’habileté que son jeu. D’Escamillo, Jean-Fernand Setti a la tessiture large, ce qui est déjà beaucoup, mais il a tendance à donner tous les aigus en force, et l’interprétation de son air pourra encore s’affiner. Autour de ce quatuor, on citera les gitanes de Norma Nahoun et Aliénor Feix, le Zuniga de François Lis ou le Dancaïre de Matthieu Walendzik. Le chœur accentus (préparé par Christophe Grapperon) est prodigue de nuances et articule fort bien le texte de Meilhac et Halévy, tandis que les enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique (dir. Clara Brenier) transforment, sur les ordres du metteur en scène, la « Garde montante » en petite scie sarcastique tournée contre Don José.
Remplaçant l’orchestre symphonique de Shanghaï initialement prévu, l’Orchestre des Champs-Elysées se laisse entraîner sur les chapeaux de roues par les tempos allègres de Louis Langrée, qui fonctionnent à merveille dans tous les moments les plus ardents de la partition ; dommage que le quintette du deuxième acte soit, lui, un peu lent, et dommage surtout que les vents manquent singulièrement de poésie dans l’intermezzo du début du troisième acte.
Laurent Bury
Bizet : Carmen – Paris, Opéra-Comique, 24 avril ; prochaines représentations les 26, 28 et 30 avril, 2 & 4 mai 2023. Spectacle capté les 26 et 28 avril pour diffusion sur Arte Concert à partir du 21 juin // www.opera-comique.com/fr/spectacles/carmen-2023
Photo © Stefan Brion
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