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Così fan tutte selon Dimitri Tcherniakov au Festival d’Aix-en-Provence 2023 – Un week-end en enfer – Compte-rendu
Avec Così fan Tutte, Dmitri Tcherniakov, metteur en scène pour le moins clivant, poursuit à Aix-en-Provence son cheminement entre fantasmes et réalité pour tenter d’adapter à notre société des œuvres composées avec les codes et les normes de leur temps. Exit ici les minauderies et les déguisements de post adolescents du XVIIIe siècle, place à un week-end échangiste et violent entre sexagénaires.
On dit souvent qu’un opéra doit être accessible et compréhensible par un spectateur qui le découvre. Ce dernier, venu prendre du plaisir au spectacle du dramma giocoso qu’est cette école des amants inventée par Da Ponte et Mozart, aura du mal à s’y retrouver cette année à Aix-en-Provence. Après avoir longtemps cherché les espiègleries inhérentes au caractère giocoso de l’œuvre, il assistera à un fait divers sordide. Pour tenter de faire avaler la pilule, Tcherniakov s’est même fendu d’une note d’intention de quatre pages distribuée avec le programme. C’est dire si le propos vient de loin ! Mais avec ou sans note, les huées mâtinées il est vrai des applaudissements de (rares) aficionados, réservés aux saluts à l’équipe scénique en disent long sur la perception populaire de ce travail.
© Monika Rittershaus
Le fait divers : une femme (Despina) tue son compagnon violent (Alfonso) d’un coup de fusil de chasse sous les yeux des deux couples (Ferrando / Dorabella è Fiordiligi / Guglielmo) qu’ils avaient séquestrés pendant un week-end et forcés, l’enquête devra le confirmer, à des jeux sexuels échangistes. Violences envers les femmes, « libéralisation » des mœurs, agression et manipulation des individus, voici, entre autres et hélas, des constantes de notre société qui font florès dans les colonnes des quotidiens et sur les écrans. A-t-on besoin de nous les jeter une fois de plus à la figure, accompagnées de la musique de Mozart ?
© Monika Rittershaus
L’opéra ne peut-il demeurer un espace de rêves et de bonheurs éphémères livrés avec ses notes et ses intrigues comme autant de témoignages patrimoniaux ? Le Così de Monsieur Tcherniakov, avec cet Alfonso petit frère du Joker et sorti droit de l’Orange mécanique de Kubrick ne fera pas l’unanimité, loin s’en faut ; et le traitement des plus dégradants réservé au quatuor de solistes lyriques en fin de représentation, agressé, humilié, par Despina et Alfonso peut être révoltant. Alors oui, le travail du metteur en scène existe, mais il devient très vite inadapté et indigeste. Bien d’autres opus signés Britten, Berg, Boesmans et autres compositeurs et librettistes d’aujourd’hui proposent avec intelligence des œuvres-reflets de notre société au sein desquelles Dmitri Tcherniakov trouverait certainement matière à laisser s’exprimer son « art » !
© Monika Rittershaus
Pour appuyer son propos, le metteur en scène a convoqué des « quinqua » en lieu et place d’une jeunesse dorée. Agneta Eichenholz, Fiordiligi, Claudia Mahnke, Dorabella, Reiner Trost, Ferrando, Russel Braun, Guglielmo, ne se sont pas défaussés au moment d’affronter le challenge qui leur était proposé. Mais la maturité et la technique vocale ne suffisent pas au quatuor qui, de plus, doit affronter physiquement des scènes les positionnant sur le fil. Et si dans la salle il est difficile de prendre du plaisir, il y a fort à parier que sur le plateau ce soit la même chose. Le dernier couple peuplant cet infernal week-end est celui des manipulateurs qui aiment faire du mal tout en se faisant du mal ! Georg Nigl, Don Alfonso, est idéalement pervers, cruel et inquiétant avec sa voix nasillarde et Nicole Chevalier, Despina ne manque pas, elle aussi, de perversité, affirmant vocalement son rôle avec puissance et grande présence.
© Monika Rittershaus
Dans la fosse, Thomas Hengelbrock, se démène à la tête de l’orchestre Balthasar Neumann pour faire sonner Mozart du mieux possible. Ici aussi le challenge était difficile à relever du fait du rapport mise en scène/orchestre et nous avons connu le directeur musical et ses musiciens bien plus en verve ces dernières années. Finalement, Wolfgang Amadeus a dû pleurer au milieu de la nuit puisqu’une pluie fine, mais persistante, a provoqué une respiration bienvenue d’une quinzaine de minutes avant un final sordide.
Michel Egéa
Mozart : Così fan tutte – Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, 6 juillet ; prochaines représentations les 8, 11, 13, 15, 17, 19 & 21 juillet. Diffusée le 12 juillet à 20 heures sur France Musique. // festival-aix.com/fr/programmation/opera/cosi-fan-tutte-1
Photos © Monika Rittershaus
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