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Reprise du Domino noir à l’Opéra-Comique – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? – Compte-rendu
France, qu’attends-tu pour offrir à ta population des heures de bonheur ? Combien de temps faudra-t-il encore avant qu’Auber redevienne un compositeur régulièrement programmé ? Le Domino noir, remis à l’affiche de l’Opéra-Comique en 2018 (les dernières représentations en région parisiennes remontaient à 1995, au Théâtre impérial de Compiègne), revient enfin, après avoir fait un détour par Liège et par Lausanne, et dément une fois de plus les esprits chagrins qui avaient voué aux gémonies ce compositeur et son librettiste, l’indispensable Scribe. La partition est exquise, l’équilibre entre moments parlés et parties chantées est judicieusement dosé, et même si l’on ne garde pas forcément grand-chose en tête de cette musique (seuls deux airs ont été retenus par la postérité, l’Aragonaise du deuxième acte et « Sauve l’honneur du couvent » au troisième), on se laisse entraîner par un irrésistible enthousiasme tout au long de la soirée.
Victoire Bunel (Brigitte de San Lucar), Léo Vermot-Desroches (Comte Juliano) & Anne-Catherine Gillet (Angèle de Olivarès) © Stefan Brion
Oui, mais, bien sûr, encore faut-il se donner les moyens et trouver le ton grâce auxquels Auber peut encore aujourd’hui conquérir le public. Pour ce qui était alors leur première mise en scène lyrique, le tandem Valérie Lesort et Christian Hecq avait fait mouche : l’action se déroule dans un XIXe siècle fantaisiste, l’espagnolade se réduit visuellement au personnage de la servante Jacinthe, et mille astuces font constamment rebondir le spectacle, avec un recours inattendu aux marionnettes, sans oublier les stupéfiants costumes de Vanessa Sannino, qui avait déjà su sublimer Mârouf de Rabaud quelques années auparavant. Le bal du premier acte devient une sorte de carnaval des animaux, où la présence de six danseurs est pleinement justifiée, le décor ingénieux de Laurent Peduzzi contribuant à l’animation des scènes. Et la présence d’un sociétaire de la Comédie-Française se ressent dans le naturel avec lequel les dialogues sont déclamés, autre écueil que constitue souvent le répertoire de l’opéra-comique, ici surmonté haut-la-main.
Léo Vermot-Desroches (Comte Juliano) & Chœur Les éléments © Stefan Brion
À la réussite théâtrale répond la réussite musicale. S’il a fallu inévitablement trouver un successeur au regretté Patrick Davin, Louis Langrée reprend le flambeau avec toute l’élégance nerveuse qui sied à la musique d’Auber, dirigeant l’Orchestre de chambre de Paris sans la moindre lourdeur, avec des vents particulièrement fruités. Le chœur Les éléments chante et danse comme dans une comédie musicale, et même les pupitres féminins, uniquement sollicités au dernier acte, ont eux aussi droit à leur chorégraphie. Quant aux solistes, la distribution est en partie renouvelée même si les têtes d’affiche restent inchangées.
Marie Lenormand (Jacinthe) © Stefan Brion
Collègue de Christian Hecq au Français, Sylvia Bergé revient en Ursule à la diction incisive, même si le chant n’est pas toujours très audible, et Laurent Montel reprend le personnage de Lord Elfort, qui a bien plus à dire qu’à chanter. Pour le plus grand bonheur des spectateurs, Marie Lenormand (1) retrouve le costume de Jacinthe, qui la transforme en Botero vivant. Trois nouveaux venus à signaler dans les rôles secondaires : Mieux encadré qu’en Escamillo sur cette même scène, Jean-Fernand Setti fait forte impression en Gil Perez ; Léo Vermot-Desroches (photo) est un luxe en Juliano, auquel on regrette que l’œuvre n’offre pas plus à chanter ; et Victoire Bunel profite de l’unique air de Brigitte, dans une partition finalement plus riche en duos, trios et ensembles qu’en airs solo.
Jean-Fernand Setti (Gil Perez), Léo Vermot-Desroches (Comte Juliano), Marie Lenormand (Jacinthe), Cyrille Dubois (Horace de Massarena ), Laurent Montel (Lord Elfort) © Stefan Brion
En Horace, Cyrille Dubois reste cet éternel jeune homme qu’il était dans Fortunio de Messager en 2019, avec ici l’occasion de déployer toute son aisance dans la virtuosité et l’aigu, pour un répertoire encore sous influence rossinienne. Et Anne-Catherine Gillet se montre tout aussi idéale : on ne perd pas un mot de ce qu’elle chante, et même si elle aborde désormais des rôles plus ambitieux, elle conserve toute l’agilité indispensable pour bien servir Auber, compositeur dont on espère vivement qu’il reparaîtra très vite sur les scènes de France et de Navarre.
Laurent Bury
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(1) Lire le Trois Questions à Marie Lenormand : www.concertclassic.com/article/trois-questions-marie-lenormand-mezzo-pour-lamour-de-lopera-comique
Le service d'accueil de l'Opéra-Comique © Arthur Rigal
Daniel-François-Esprit Auber : Le Domino noir - 20 septembre ; prochaines représentations les 22, 24, 26 et 28 septembre 2024 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/le-domino-noir-2024
© Stefan Brion
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