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Une interview de Laurent Campellone, directeur général de l’Opéra de Tours – « Nous avons fait la part belle aux grands titres populaires. »

 

Directeur général de l’Opéra de Tours depuis 2020, Laurent Campellone répond à Concertclassic à l’orée d’une saison 2024-2025 variée –  et non dénuée de surprises et de nouveautés ! A l’approche de l’année Bizet, c’est à ce dernier que revient le spectacle d’ouverture, les 4 et 6 octobre, avec Le Docteur Miracle et L’Arlésienne. Une manière de rappeler, d'emblée, la place du répertoire français sur la scène tourangelle.
 
 
Avant d’entrer dans le détail de la programmation, comme décririez-vous la couleur d’ensemble de la saison 2024-2025 ?
 
Nous avons fait la part belle aux grands titres populaires, à des ouvrages d’accès facile pour le public (Flûte enchantée, Traviata, Requiem de Mozart). Des partitions qui plaisent tant aux spécialistes qu’à ceux qui viendraient pour la première fois à l’Opéra et qui trouveront là une rencontre esthétique immédiate et puissante.
A ce sujet, il me paraît important d’insister sur le fait que nous avons mis en place un abonnement « Découverte », spécialement pensé pour les gens qui veulent découvrir la musique classique, l’opéra et qui se demandent « par quoi commencer ? ». Cet abonnement, à tarif très préférentiel, suggère quelques spectacles (dont La Traviata ) et concerts d’un accès immédiat et correspond à un véritable besoin.
 Autre innovation touchant à l’élargissement du public, nous avons imaginé, avec une radio locale et plusieurs associations d’élèves, une soirée DJ Set (avec un DJ connu dont le nom sera communiqué peu avant l’événement). Le 20 mars, le Foyer du public se transformera en vrai dance floor. Les personnes qui se rendront à cette soirée recevront, à son issue, deux invitations pour assister à la pré-générale de Traviata.

 

Le Docteur Miracle © A. Nabo de Sousa

 
« Il y a tant de merveilles dans le répertoire français ... C’est la fonction de nos établissements que de remettre certains titres à l’affiche. »
 

 
 
La volet lyrique de la saison comprend cinq productions et un « Gala Verdi », d’où se détache un axe français important avec L’Arlésienne couplée au Docteur Miracle de Bizet, Le 66 ! et La Belle Hélène d’Offenbach ...
 
C’est le résultat de ce qui a structuré mon parcours depuis toujours, ce qui m’a amené à la musique en tant que chef, ce qui m’a conduit à être directeur musical d’une institution lyrique française, l’Opéra de Saint-Etienne, et ce qui fait que suis ici à présent. Mon amour de la musique française, à Saint-Etienne parce qu’il y avait cette tradition autour de Massenet, et à Tours où j’avais la volonté de continuer le travail sur ce répertoire mené pendant longtemps par Jean-Yves Ossonce. Ma première saison à Tours était entièrement française. Aujourd’hui, ce répertoire conserve une place importante car même lorsque nous programmons des titres méconnus de notre patrimoine le public répond présent. La Caravane du Caire de Grétry par exemple (une coproduction avec l’Opéra de Versailles), a été accueillie avec un immense enthousiasme au printemps 2022. Il y a tant de merveilles dans le répertoire français ... C’est la fonction de nos établissements que de remettre certains titres à l’affiche. Quand on sait les sélectionner, ce sont des spectacles irrésistibles !
 
Entrée en matière française donc, les 4 et 5 octobre, avec un doublé Bizet réunissant L’Arlésienne (dans une version pour récitant, ensemble vocal et orchestre d’Hervé Lacombe) et l’opéra-comique Le Docteur Miracle. Quelques mots sur un spectacle dont Pierre Lebon signe la mise en scène ?
 
C’est une manière de présenter les deux faces de Bizet, le génie de ce jeune homme à la fois dans un genre connu, l’opéra-comique, et puis avec le texte de Daudet, qui montre tout le sens théâtral du compositeur. On a presque l’impression d’avoir affaire à deux auteurs différents. Bizet fait partie de ces musiciens « caméléons » qui parviennent à adopter des esthétiques, des langages, des rythmes différents en fonction de l’objet théâtral qu’ils ont face à eux. La confrontation des deux œuvres offre une expérience très enrichissante. Le pari de Pierre Lebon est de parvenir à donner une unité au spectacle – qui se déroulera dans des décors intégralement fabriqués par les ateliers de l’Opéra de Tours.
 
Et il faut ajouter qu’il s’agit d’une nouvelle production en collaboration avec Bru Zane dont la création se tient à Tours ...
 
Bru Zane est le producteur délégué du spectacle Bizet. Une entreprise qui réunit diverses maisons, le Châtelet, l’Opéra de Rouen, l’Opéra de Lausanne. Il s’agit de la cinquième production que nous faisons avec Bru Zane, et la troisième dont la création a lieu à l’Opéra de Tours. Ma relation avec le Palazzetto Bru Zane est très ancienne et remonte quasiment à sa création ; j’ai réalisé plusieurs enregistrements avec eux.

 

La Belle Hélène (m.e.s. Michel Fau) © Alan 

 
« Michel Fau est un homme de théâtre qui possède le don magnifique d’être extrêmement sensible à la musique et au rythme des opéras. »

 
On poursuivra avec Offenbach jusqu’à la fin de l’année. Avec le 66 ! d’abord, là encore une entreprise avec Bru Zane dans le rôle de producteur délégué, suivie en décembre par La Belle Hélène. Un spectacle fruit d’une coproduction avec l’Opéra-Comique, l’Opéra Royal de Wallonie et l’Opéra de Lausanne, où l’on a déjà pu le découvrir dans la mise en scène de Michel Fau. Qu’est-ce qui vous séduit dans son approche ?
 
La Belle Hélène ... le classique des classiques ... C’est comme pour Carmen ; on peut être tenté de se dire « encore une fois... » et puis – c’est le propre des chefs-d’œuvre – on retrouve une partition inépuisable. La production de Michel Fau est assez hypnotisante, avec son décor unique et beaucoup de fantaisie, de second degré, de rythme. La production a été créée Lausanne fin 2019. Nous avons d’autres projets avec lui dans le futur. Dès la saison 25/26 nous accueillerons un autre de ses spectacles. Michel Fau est un homme de théâtre qui possède le don magnifique d’être extrêmement sensible à la musique et au rythme des opéras. Il arrive à porter scéniquement la musique de manière particulière, avec à la fois un grand respect et quelque chose de très personnel et original. Son Wozzeck, il y a deux ans au Capitole de Toulouse, était étourdissant d’intelligence ! Il sait rendre accessible les émotions et permet aux œuvres musicales de se déployer.

 
« Je ne suis pas un révolutionnaire adepte de la tabula rasa qui considère que ce qui a été fait avant lui est forcément mauvais. »

 
Une approche singulière attend aussi le public avec La Flûte enchantée selon Eric Vigié. Une production elle aussi déjà présentée à Lausanne. En quoi se singularise-t-elle ?  
 
Une production dont une partie des décors a d’ailleurs été réalisée à Tours, l’autre revenant à Lausanne. Le parti pris d’Eric Vigié est de placer toute l’action en Chine, en Asie, dans un univers symbolique différent de celui auquel on est accoutumé dans cet ouvrage, mais qui fonctionne extrêmement bien. C’est un spectacle qui marque, même ceux qui connaissent très bien la Flûte. Il a remporté un gros succès à Lausanne en mars dernier.
 

La Flûte enchantée ( m.e.s. Eric Vigié) © Jean-Guy Python

 
Un relation visiblement solide s’est installée entre l’Opéra de Tours et celui de Lausanne ...
 
Avant mon arrivée, Tours avait déjà eu l’occasion de collaborer avec cette maison. Je ne suis pas un révolutionnaire adepte de la tabula rasa qui considère que ce qui a été fait avant lui est forcément mauvais. Je pense qu’il faut, quand on le peut, conserver ce qui fonctionne et apporter, si nécessaire, des améliorations. Depuis mon arrivée j’ai maintenu et nourri les partenariats qui étaient déjà en place. Et puis nous sommes un des dernier théâtres à avoir une scène inclinée, à avoir aussi un format de scène compatible avec celui de Lausanne, l’Opéra-Comique ou l’Opéra Royal de Versailles. Techniquement des liens s’établissent donc avec certaines maisons. Entrent aussi en ligne de compte la sensibilité des publics, l’entente que l’on peut avoir avec tel ou tel directeur – à Lausanne avec Eric Vigié ou Claude Cortese, qui lui a succédé –, choses qui favorisent les projets communs. Et puis, entre Tours et Lausanne, nous n’avons pas le même public ; nous savons que si l’on programme chez l’un on n’enlève pas de public chez l’autre.

 
« Traviata aurait certainement été l’un de des très grands rôles de Jodie Devos. »

 
La Traviata en fin de saison et un programme symphonique « Beethoven, héritier de Mozart » : vous dirigez peu cette saison ?
 
J’avais fait clairement savoir en arrivant à Tours que je souhaitais ne pas assumer la double charge de directeur général et directeur musical. Reste je dirige avec plaisir un opéra et un concert, comme ce sera le cas cette saison. Et en particulier Traviata, l’un des ouvrages que j’ai le plus dirigé, dans beaucoup de grandes maisons, dont le Bolchoï. C’est une fête que de retrouver ce Verdi en fin de saison, moment toujours un peu particulier.
 
Mais avec un pincement au cœur j’imagine ...
 
C’était en effet un projet avec Jodie Devos, qui lui aurait permis de faire ses débuts dans ce qui aurait certainement été l’un de ses très grands rôles. Nous nous étions vus en décembre dernier à l’Opéra-Comique pour parler du personnage et commencer à le travailler. Le projet de Traviata, monté avec les Opéras de Rennes, Angers-Nantes, Nice, Montpellier, est une très grosse coproduction. Mon choix était de diriger cette œuvre pour offrir au public tourangeau la première Traviata de Jodie, avec face à elle Léo Vermot-Desroches pour son premier Alfredo. Il aura donc une autre Traviata ... (dont le nom sera connu prochainement), et le public pourra découvrir le travail de Silvia Paoli qui, comme toujours, est extrêmement attentive aux rapport sociaux, à la violence sociale sous-jacente même dans les rapports amoureux.
 

Clelia Cafiero, cheffe invitée principale de l’Orchestre symhonique Région Centre-Val de Loire / Tours  © Cyril Cosson

 
« Clelia Cafiero manifeste un ascendant naturel, une détermination – et une connaissance des voix ! – remarquables. »

 
Restons avec Verdi : les 26 et 27 avril, on pourra entendre « Viva Verdi », un programme donné par les solistes de l’Académie de la Scala de Milan dont la direction sera assurée par Clelia Cafiero, cheffe invitée principale de l’Opéra de Tours. Dites m’en plus sur cette jeune collègue et sur la relation qu’elle a nouée avec votre maison ...
 
Clelia Cafiero est déjà plusieurs fois venue diriger à Tours. C’est une musicienne d’une grande maturité stylistique, d’un grand savoir faire, enthousiaste et d’un aplomb qu’on rencontre parfois seulement chez des chefs plus âgés. Elle manifeste un ascendant naturel, une détermination – et une connaissance des voix ! – remarquables. C’est une personne extrêmement bienveillante, extrêmement cultivée. Elle a un rapport au répertoire italien, à Verdi en particulier, très éclairé puisqu’elle a souvent travaillé à la Scala. C’est quelqu’un avec qui, à titre personnel, je m’entends particulièrement bien ; les liens humains se sont tissés très vite. Elle est très appréciée de l’Orchestre. Nous n’avons pas de directeur musical pour le moment à Tours et il était important qu’une musicienne telle que Clelia vienne régulièrement faire travailler l’orchestre avec le souci de rigueur qui est le sien. Elle a accepté la charge de cheffe invitée principale et viendra trois fois cette saison, pour La Flûte enchantée, « Viva Verdi » et le dernier programme symphonique, en mai, qui réunira la 4ème Symphonie de Bruckner et une création mondiale de Tatiana Probst.
 
Venons-en justement à la partie symphonique de la saison : comment l’avez-vous conçue ?
 
Ma volonté était de faire se rencontrer plus régulièrement le Chœur de l’Opéra de Tours et l’Orchestre sur des programmes symphoniques. Jusqu’il y a quelques années il y avait des oratorios, des œuvres chorales qui étaient données avec l’Orchestre ; ça a eu tendance à disparaître. Par deux fois durant la saison qui s’ouvre, l’Orchestre et le Chœur seront réunis, en octobre pour le Stabat Mater de Rossini, dirigé par Gaëtan Jarry, puis en janvier dans le Requiem de Mozart, sous la baguette de David Jackson. Mon envie était à la fois de proposer des œuvres chorales, des titres grand public, mais aussi d’aborder Bruckner, musique peu donnée depuis quelques années à Tours, et enfin d’avoir une compositrice en résidence, Tatiana Probst en l’occurrence, qui apporte un regard contemporain.

 

Tatiana Probst © Kostia Petit

« Soprano, Tatiana Probst est aussi une vraie compositrice au langage très particulier. »

 
Pourquoi avoir choisi Tatiana Probst ?
 
C’est un artiste que je connaissais en tant que soprano. Un jour lors d’une conversation, elle ma parlé de son activité de compositrice. Je lui ai demandé de m’envoyer des partitions, des enregistrements et j’ai découvert qu’elle avait déjà eu des commandes, déjà signé beaucoup de partitions. Je n’avais pas affaire à une chanteuse qui compose « à côté », mais à une vraie compositrice au langage très particulier, très original dans le paysage de la musique contemporaine. Nous lui avons passé trois commandes : une mélodie pour voix et piano, une pièce d’orchestre (dans la formation brucknerienne, qui sera jouée avant la 4ème Symphonie) et une dernière pièce pour notre Chorale Populaire, destinée à devenir son hymne.
 

Dans quelle circonstances entendra-t-on la mélodie pour voix et piano ?
 
Elle sera créée le 18 novembre à l’occasion de la venue à Tours de la marraine de notre saison, assez inattendue et particulière : Christine Angot. Après des parrains très indentifiés à la musique (Roberto Alagna, Michel Plasson ...), je me suis dit qu’il était peut-être temps d’avoir le regard d’un écrivain ou d’une écrivaine, car les mots, le texte sont au cœur de notre métier aussi. Christine Angot a accepté de venir parler avec nous de musique et de style. Ce sera, comme toujours avec elle, extrêmement spontané, riche, plein d’arrière-mondes – elle a la capacité d’entendre tous les sous-entendus, tous les sous-textes, tous les liens qui existent et ne se voient pas entre les choses et les êtres ... Mais elle a aussi accepté d’écrire un texte original, qui a été confié à Tatiana Probst, et que l’on découvrira le 18 novembre lors d’une soirée en deux parties : durant la première je converserai avec Christine Angot au sujet de la musique, de l’harmonie, des voix, des silences, de tout ce qui constitue le style, l’écriture, etc. En seconde partie, on découvrira – et Christine Angot  aussi – la musique écrite par Tatiana Probst sur son texte. L’écrivaine lira d’abord celui-ci, puis on entendra la mélodie de Tatiana Probst. Celle-ci nous rejoindra alors pour parler de sa rencontre avec un texte, du processus d’écriture ; Christina Angot réagira à la manière dont son texte a été perçu par la compositrice et la soirée se terminera par une deuxième audition du morceau. Une expérience totalement inédite, il me semble ...
 
L’Opéra de Tours propose une série de musique de chambre, forte de cinq concerts cette année : comme est-elle programmée ?
 
Nous avons en effet un saison chambriste, animée par les musiciens de l’Orchestre, qui remporte un succès régulier. Nous avons cette fois décidé d’organiser un des cinq concerts dans la Grande salle avec  le Quintette « La Truite » de Schubert, les quatre autres se dérouleront comme de coutume au Foyer du public.

 

L'Orchestre symhonique Région Centre-Val de Loire / Tours (avec Roberto Alagna et Laurent Campellone) © Marie Petry
 
 
Orchestre symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours : l’aspect régional compte beaucoup aussi dans l’activité de l’Orchestre ...
 
C’est l’une des missions de notre formation que de porter la musique symphonique sur un territoire extrêmement vaste. Cette mission de décentralisation est très importante et nous l’accomplissons avec beaucoup plaisir. Nous sommes le seul orchestre de la région et le concert que nous donnons à tel ou tel endroit est parfois le seul concert symphonique de toute la saison. Le public est très à l’écoute et les salles sont pleines. C’est une mission structurante de l’Orchestre, qui d’ailleurs nous permet de bénéficier d’un soutien important de la part de la région.

 
« Les enfants se sentiront accueillis, chez eux vraiment : l’Opéra sera leur maison pendant deux semaines. »

 
La saison 2024-2025 sera marquée par la première édition d’un Festival jeune public (du 17 au 28 mars). Dans quelle optique avez vous conçu cet événement ?
 
Nous allons donner les clefs du théâtre pendant près de deux semaines aux enfants en leur proposant un parcours avec plein de spectacles variés. Nous espérons que le fait de venir plusieurs fois sur une période resserrée voir des choses différentes va leur permettre de comprendre la richesse de ce qui se passe à l’Opéra. C’est aussi une façon pour les familles de se mobiliser, de se dire : pendant cette période le théâtre appartient aux enfants. Ils s’y sentiront accueillis, chez eux vraiment : ce sera leur maison pendant deux semaines.

Propos recueillis par Alain Cochard le 11 septembre 2024

 

Voir les prochains concerts en région Centre <

Saison 2024-2025 de l’Opéra de Tours : operadetours.fr/

Bizet : Le Docteur Miracle / L'Arlésienne 
4 et 6 octobre 2024 – 20h (15h le 6) 
Tours - Opéra de Tours
operadetours.fr/fr/programmation/l-arlesienne-le-docteur-miracle-georges-bizet-1838-1875?nidseance=4945

 
Photo Laurent Campellone © Marie Petry

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