Journal
Il piccolo Marat de Mascagni à Angers Nantes Opéra – La Terreur sous ses plus belles couleurs – Compte-rendu
En 1989, plusieurs théâtres de France ont monté Andrea Chénier, seul opéra évoquant la Révolution et resté au répertoire, Puccini n’ayant jamais composé la Marie-Antoinette à laquelle il avait un moment songé. Il y avait pourtant d’autres titres possibles, comme la magnifique Marie Victoire de Respighi, que Laurent Brunner avouait jadis vouloir monter à l’Opéra royal de Versailles, ou Il piccolo Marat de Pietro Mascagni. Pour le centenaire de cette œuvre, le Teatro Goldoni de Livourne (1) – ville où la partition a été composée – a voulu la remonter, et comme l’action se déroule à Nantes, le projet de faire découvrir cet opéra en France a bientôt vu le jour.
Angers Nantes Opéra a très logiquement accueilli cette production, qui constitue une quasi-première dans notre pays, où Mascagni semble être venu la diriger à Paris en 1927.
Pietro Mascagni (1863-1945) © Coll. part.
Si le spectacle monté à Livourne n’est pas venu avec ses décors, la mise en espace proposée par Sarah Schinasi reprend les grandes lignes de sa mise en scène, et même certains des costumes. A l’aide de quelques accessoires (tables, chaises, fauteuil), et surtout en aidant les solistes à adopter des attitudes efficaces et des déplacements « théâtraux », elle permet au public des trois concerts donnés à Angers et Nantes de suivre parfaitement l’action, même si elle se déroule uniquement à l’avant-scène, avec l’orchestre pour toile de fond.
© Garance Wester PoAngers-NantesOpéra
Du reste, ledit orchestre est l’un des protagonistes essentiels de l’œuvre. Si Mascagni propose une sorte de mélodie continue, au lyrisme généreux mais sans air détachable, il se montre plus aventureux dans les premières mesures de chacun des trois actes, flirtant même avec l’atonalité dans les accords étranges qui introduisent l’opéra. L’Orchestre national des Pays de la Loire traduit toute la riche palette de couleurs voulues par le compositeur, bénéficiant de l’expérience du chef Mario Menicagli qui a dirigé les représentations de Livourne en décembre 1921. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra, préparé par Xavier Ribes, livre lui aussi une prestation brillante : il est surtout sollicité au premier acte, où Mascagni brosse un tableau des années de la Terreur de manière autrement plus frappante que Giordano dans Chénier, le livret l’aidant à présenter une vision du peuple à la Boris Godounov, où différents groupes s’opposent et se répondent.
© Garance Wester PoAngers-NantesOpéra
Dans les actes suivants, et même dès la fin du premier, l’intrigue se resserre sur le drame des trois personnages centraux : certes, l’opéra évoque les noyades de prisonniers organisées à Nantes par un délégué de la Convention, mais il s’articule aussi autour d’un triangle de personnages, le rôle-titre, aristocrate déguisé, s’éprenant de la nièce de celui qu’on appelle simplement « l’Ogre ». Il serait néanmoins injuste de ne pas mentionner les figures secondaires auxquels la partition réserve leur quart d’heure de gloire : le soldat animé de superbes idéaux, incarné par Matteo Lorenzo Pietrapiana, le charpentier complice mais repentant de Stavros Mantis, et la mère du héros, noblement campée par Sylvia Kevorkian.
© Garance Wester PoAngers-NantesOpéra
En 1921, les principaux personnages étaient confiés à des interprètes de premier plan (Gilda Dalla Rizza, première Magda de La Rondine, Hipólito Lázaro, qui participa à la création de Parisina de Mascagni ou de La cena delle beffe de Giordano). De fait, il faut ici des voix capables de se projeter par-dessus la masse orchestrale. Nouvelle venue dans cette production, contrairement aux deux autres rôles majeurs, Rachele Barchi réussit à concilier une allure de toute jeune fille avec la puissance vocale indispensable et l’expressivité nécessaire. Samuele Simoncini sait lui aussi se faire entendre avec autorité dans une tessiture exigeante, et c’est une grande qualité, mais son timbre souvent nasal ne possède peut-être pas toute la séduction que l’on attendrait du prince de Fleury devenu « petit Marat » pour sauver les jours de sa mère.
© Garance Wester PoAngers-NantesOpéra
De fait, c’est surtout le méchant de l’histoire, l’Ogre, qui marque durablement les esprits : dominant d’une tête tous ses partenaires, totalement investi à chaque instant, Andrea Silvestrelli est un prodigieux acteur, d’un naturel presque inquiétant dans son rôle de monstre assoiffé de sang, et un chanteur stupéfiant, dont la voix passe allègrement du grave le plus caverneuses aux notes les plus aiguës qu’on puisse exiger d’une basse. Voilà un artiste que l’on aimerait revoir très vite, tout comme on souhaiterait que les théâtres français découvrent que Mascagni ne se limite par à Cavalleria rusticana : Strasbourg avait osé L’amico Fritz, mais on rêve d’entendre cette délicieuse japonaiserie qu’est Iris ou la sulfureuse Isabeau.
Laurent Bury
> Voir les prochains concerts en Pays de la Loire <
(1) www.youtube.com/watch?v=JMysYxhtJ4E
Mascagni : Il piccolo Marat – Grand Théâtre d’Angers, 5 octobre 2024 // www.angers-nantes-opera.com/accueil/il-piccolo-marat
Photo © Garance Wester PoAngers-NantesOpéra
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD