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Ninon Hannecart-Ségal et Alice Ader au Festival « Aux Armes Contemporains » / La Scala Paris 2024– Quel(s) rêve(s) ! – Compte-rendu
À quarante-huit heures d’intervalle, le 7e Festival « Aux Armes Contemporains » a fait le bonheur des amoureux de clavier avec deux récitals singuliers placés sous le signe du dialogue. Celui du piano et du clavecin d’abord, sous les doigts de la jeune Ninon Hannecart-Ségal (photo) qui a imaginé un programme à partir de La dame seule, composition inédite de Georges Aperghis. Une pièce originellement conçue pour pianiste-récitant(e), que le compositeur considérait comme insatisfaisante dans sa mouture initiale, pour des questions d’équilibre voix-instrument, et qu’il a remodelée pour clavecin à l’intention de Ninon Hannecart-Ségal.
© DR
Quel rêve !
La dame seule est construite autour d’un texte du compositeur contant un rêve sans queue ni tête, totalement absurde : la claviériste a décidé d'en tirer le fil pour imaginer tout un programme. Ninon Hannecart-Ségal incarne cette dame et, passant avec une facilité déconcertante d’un instrument à l’autre (le clavecin est un Anthony Sidey de 1972 venu de Royaumont) (1), nous plonge dans un songe absurde, surréaliste, déroutant, d’autant plus que des bribes du texte d’Aperghis sont reprises entre les pièces. A commencer par « Quel rêve ! », pareil à un leitmotiv – ô combien approprié !
© Yann Ollivier
Dérouté, l’auditeur l’est d’entrée de jeu, en voyant l’artiste, vêtue d’une très belle robe à crinoline, entrer en scène et prendre la parole, avant de se mettre au clavecin et de faire rebondir les syllabes sur les notes, avec une précision incroyable. Elle n’est pas moins à son aise au piano : son sens du timbre fait merveille dans le debussyste Prélude en ré bémol de Lili Boulanger ou encore le méconnu Prélude du Tombeau de Max Jacob d’André Thomas, d’une hypnotique fluidité très post-ravélienne.
Impossible de restituer par les mots ce qui relève de l’expérience de la musique vivante sur un mode plus que hautement fantasque. Entre des moments très obsessionnels et rageurs tels que le E for E pour clavecin de Hanna Kulenty ou l’Etude n° 3 pour piano de Bernard Cavanna, admirablement dominée, et d’autres complètement suspendus (Smoky Smoky like is voice de Minzuo Lu, Ilustrazione n° 4 de Scelsi), le programme (où figurent en outre Seule dans la forêt de Tailleferre, que l’interprète acclimate judicieusement au clavecin, Gemini tiré de Makrokosmos II de Crumb, le Prélude de la Suite anglaise BWV 811 de Bach et Voyage d’Aperghis) se referme sur la création mondiale de Voltage du Canarien José Luis Perdigón de Paz (né en 1990). Un pièce pour clavecin – avec gants noirs ! –, pour le moins spectaculaire, entre rapport très physique à l’instrument et instants où l’exécutante croise les mains et ... se met en position de prière. Quel rêve, comme l’aura souvent répété Ninon Hannecart-Ségal ... Et quel talent, ajoutera-t-on à son propos !
On la retrouve bientôt, dans le cadre du Festival de musique de Dinard (2), en compagnie de la soprano et compositrice Tatiana Probst pour un "concert d’Halloween" (31 oct), où elle se partage à nouveau entre piano et clavecin, et, deux jours plus tard, dans un plus traditionnel programme, tout pianistique celui-là (Debussy, Brahms.)
Alice Ader & Philippe Hersant © Thomas O'Brien
Territoires d’ombres
En clôture du 7e Festival « Aux Armes Contemporains », le public a rendez-vous avec Alice Ader. Dans l’espace du clavier du seul piano, une autre dialogue lui est proposé, entre des pages du Liszt tardif (Lugubre gondole I & II, Wiegenlied, Unstern, Nuages gris, En rêve, Bagatelle, Csárdás obstinée, Schlaflos !, Ossa arida (3)) et de Philippe Hersant. Un ensemble que cette poète pianiste, trop rare en public, vient d’enregistrer pour Scala Music (4) après être longtemps restée éloignée des studios, et qui sort tandis qu’elle fête son 80e anniversaire cette année.
© Thomas O' Brien
« Un moment de musique construit comme un long cheminement à travers des territoires d’ombres, jusqu’à une vision de l’intangible », dit Alice Ader de son programme, anti-spectaculaire au possible. C’est là une autre manière de rêve en musique, d’autant plus captivant qu’à la demande de l’interprète aucun applaudissement ne vient le perturber. Un monde d’ombres certes, de noirceur et d’étrangeté, mais jamais de grisâtrerie. Avec une économie de geste, un contrôle du clavier et du matériau sonore admirables, la pianiste sait toujours se renouveler et, quand il le faut, rendre la musique « à la fois brillante et noire comme un poème Villon », pour reprendre les mots de Daudet.
La complémentarité entre l’univers du dernier Liszt et celui du compositeur français s’impose sans discussion, avec In Black (2007), d’essence très romantique, Fleuve d’oubli (en fait la partie soliste du finale de Streams, concerto dont Alice Ader fut la créatrice en 2001) et Paradise Lost, brève pièce écrite par Hersant en 2019 à la mémoire de son ami Olivier Greif. « Une image du paradis perdu...", selon le musicien. Elle prend une force et un sens particuliers au terme d’un cheminement aussi intense qu’énigmatique et troublant.
L’accueil du public se révèle à la mesure du moment rare qu’il a vécu. Gérard Iglesia, Chopin et, à deux reprises, Scarlatti sont au menu des bis.
Alain Cochard
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(1) Ninon Hannecart-Ségal est en résidence à Royaumont depuis l'an dernier et jusqu'en 2026.
(1) www.festival-music-dinard.com/programme-2024/
(3) Dans la transcription de Philippe Hersant.
(4) "Chimères", Liszt-Hersant - Scala Music SMU015
Paris, La Scala, 12 octobre (N. Hannecart-Ségal - Piccola Scala) ; 14 octobre 2024 (Alice Ader - Grande salle).
Photo © Yann Ollivier
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