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Scar, Skin, Skull, triptyque de Rebecca Saunders par l’EIC sous la direction de Pierre Bleuse – Une force incroyable – Compte-rendu
Pour elle-même et pour l’auditeur, Rebecca Saunders donne à ses œuvres des titres qui proposent des images, une préfiguration de sa musique. Ce sont ici, si l’on suit l’ordre de composition (entre 2015 et 2023), Skin, Scar, Skull : la peau, la cicatrice et le crâne. Soit une musique profondément liée au corps, mais un corps qui ressent plus qu’il ne se meut. Jamais l’orchestre – entre treize et quinze solistes – ne montrera les muscles. Il s’anime en revanche, sans de vibrations à la fois ténues et puissantes – la musique ne trahit aucune agitation mais explore les tressaillements intérieurs.
Rebecca Saunders © Mathias Benguigui
Scar tient lieu de premier volet. La musique s’ouvre, à partir d’un grondement d’abord inaudible puis répercuté par les deux pianos qui bordent la scène, en traçant une ligne qui ne sera jamais lâchée au long de la vingtaine de minutes que dure la pièce. C’est une véritable cicatrice sonore que dessinent les quinze solistes de l’Ensemble Intercontemporain, une lente déchirure autour de laquelle tout se met en résonance. La musique de Rebecca Saunders irradie, prenant des directions opposées : frissonnements dans l’aigu qui pourraient être ceux de l’épiderme, plongées dans le grave, répercussions dans la chair. Mais pourtant, la musique est toujours ramenée à sa ligne.
L’orchestration de Rebecca Saunders ne laisse aucun instrument se perdre sans issue, toujours rattrapé par d’autres sonorités qui le relient aux autres : le hautbois, l’accordéon, le violoncelle, la guitare électrique, les clusters du piano ont en particulier ce rôle de liant, de tissu organique. Une exception, mais on est déjà vers la fin de l’œuvre : les trilles du piano dans l’aigu, acmé de la sensation, de la douleur même, qui ne peut déboucher sur le silence. Une coda lancinante le prolonge et achève la trace de cette cicatrice.
© Mathias Benguigui
Une musique où l’on ne peut se perdre
Skin semble partir de là où Scar s’arrête : après l’entrée hallucinée de la voix soliste, portée par le souffle de la flûte basse – un presque rien d’une force incroyable –, on y retrouve très vite les trilles, cette fois émises par la soprano, rapidement rejointe par les wah wah de la trompette en sourdine. La soprano Juliet Fraser, dédicataire de l’œuvre, multipliant les modes de jeu (trilles donc, mais aussi voix étouffée, moments parlés où le texte, soudain, libère son sens, notes tenues ou staccato…), fait littéralement corps avec cette musique. Skin est beaucoup plus ornementée et tortueuse, plus véloce, plus directe que Scar. Mais, là encore, les spirales s’enroulent autour d’une ligne que Rebecca Saunders suit infailliblement. C’est une musique dans laquelle on ne peut se perdre.
La direction de Pierre Bleuse colle à merveille à cette musique où les couleurs instrumentales plongent les unes dans les autres et nuancent infiniment la palette. Il trouve la posture idéale entre le déploiement de chaque phrase, de chaque trait et la nécessaire continuité de l’ensemble. Rebecca Saunders désigne ses partitions (dans le cas de Scar par exemple) à « quinze solistes et un chef d’orchestre » : cette formule prend ici tout son sens.
© Anne-Elise Grosbois
Détours et spirales
Skull est la dernière pièce de ce triptyque, la dernière composée aussi. Elle est également la plus développée, dépassant largement la demi-heure. Elle est sans conteste de la même veine et l’on retrouve la prodigieuse capacité de la compositrice à tracer une ligne unique qui captive tout au long. Mais il y a ici un autre déploiement du temps, qui est aussi un élargissement de l’espace – jusqu’à côtoyer le vide. C’est une musique qui prend son temps, à la manière d’un adagio de Bruckner. C’est une musique de contours, où le trait se fait plus léger, les timbres davantage dilués. Ce n’est que peu à peu que se reconstruit le paysage harmonique auxquels nous ont acclimaté Scar et Skin. C’est une musique en détours et en spirales, dont on comprend quelle a pu être sur sa naissance l’influence des textes de Beckett lus par la compositrice avant Skin et Skull : ces petites revirements de la phrase qui lui donnent peu à peu son sens (« Texte pour rien XIII ») ou dans « Alba » la sensation d’un cheminement, d’une quête qui d’approche en approche nous conduit vers une énigme toujours plus grande.
Jean-Guillaume Lebrun
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Paris, Cité de la musique, 8 novembre 2024
Photo © Anne-Elise Grosbois
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