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Une interview d’Eva Zavaro, violoniste – « Cet album vient de mes entrailles. »
Au côté du pianiste Clément Lefebvre, un complice de longue date, la violoniste Eva Zavaro propose un parcours original, intitulé « Notturno », qui met en regard des pages de Karol Szymanowski et Gabriel Fauré – une réalisation de jeunesse du premier, la Sonate en ré mineur, et un opus tardif du Français, la 2e Sonate op. 108. Au fil d’un parcours sous le signe de la nuit, on découvre aussi la Berceuse op. 16 et Après un rêve de Fauré, la Berceuse d’Aïtacho Enia op. 52 et Notturno e Tarentella op. 26 du Polonais.
En parfaite osmose, les deux interprètes livrent une interprétation d’une finesse, d’une poésie et d’un feu expressif proprement irrésistibles – et admirablement captée de surcroît. On les retrouvera dans le programme de leur enregistrement (pour La Dolce Volta (1)), le 4 décembre à Paris, salle Cortot, le 6 décembre à l’Arsenal de Metz et le 12 décembre, dans le cadre de la saison Prima La Musica ! de Vincennes.
La réunion de Szymanowski et Fauré dans un même enregistrement était-elle un projet ancien ?
Oui, ce disque est un hommage à ma double origine, polonaise par ma mère, française par mon père. Je voulais que ce premier projet, pleinement personnel, me ressemble. Cet album vient de mes entrailles. J’ai joué ce programme en France, et en Pologne du reste.
« Quand on commence un disque ou un concert de cette manière, on veut d’emblée créer un monde. »
Le disque s’ouvre par la Sonate pour violon et piano en ré mineur op. 9 de Szymanowski. Une œuvre de 1904, très intense. Vous imaginez-vous débutant un concert par elle ?
Oui, tout à fait. Je reste une personne « intense », au bon comme au mauvais sens. Nous avons beaucoup travaillé ce programme avec Clément et l’avons souvent donné en public avant de l’enregistrer. Nous avons choisi, après réflexion, de commencer de cette manière. Et puis, on peut considérer qu’il y a un aspect théâtral quand on commence un disque ou un concert de cette manière ; on veut d’emblée créer un monde.
Dans le livret qui accompagne le disque, vous dites ignorer si Fauré et Szymanowski se sont rencontrés…
En effet, mais je voulais absolument les associer. Et associer des œuvres écrites par ces compositeurs à des époques différentes de leurs vies, mettre en regard un jeune Szymanowski avec un Fauré de la maturité (la Sonate op. 108 est de 1916). Je voulais explorer les multiples styles de ces compositeurs, partis l’un comme l’autre d’un certain post-romantisme. Et souligner comment chacun s’est peu à peu approprié son propre monde.
Cette évolution m’a passionnée. Ce qui les différencie, notamment, est que Fauré ne travaillait pas pour un interprète en particulier – sa musique est parfois plus vocale qu’instrumentale - , tandis que Szymanowski a composé toutes ses œuvres pour violon – à l’exception de la Sonate en ré mineur – pour Pawel Kochánski (1887-1934). Ce dernier a notamment écrit la cadence du 1er Concerto pour violon.
« C’est Julia Fischer qui m’a suggéré de la travailler la Sonate op. 9 de Szymanowski. »
Vous avouez avoir mis un certain temps à apprivoiser la 2e Sonate en mi mineur de Fauré ...
C’est une œuvre qui ne se livre pas facilement. Ni au public, ni à l’interprète. Et cela me semblait intéressant. Je ressens chez Fauré, cette nécessité d’être écouté plusieurs fois avant de se sentir chez soi. On doit s’approprier cette musique, d’une grande organicité, par plusieurs écoutes. Bien évidemment, cela ne m’empêche pas d’adorer jouer la 1ère Sonate en la majeur, que nous donnerons plusieurs fois en concert avec Clément, elle est d’un charme absolu.
Clément, du reste, a été très enthousiaste, quand je lui ai proposé de jouer des œuvres de Szymanowski. Il venait d’écouter l’anthologie de Kristian Zimerman , qui venait de paraître, et était vraiment emballé.
Vous avez en particulier reçu l’enseignement de Julia Fischer à la Hochschule für Musik de Munich. Avez-vous étudié avec elle les compositeurs qu’on trouve sur votre disque ?
Eh bien, figurez vous que la première fois que j’ai entendu la Sonate op. 9 de Szymanowski, c’était sous ses doigts ! Ce qui a l’air de vous étonner ... Et c’est elle qui m’a suggéré de la travailler. Elle a eu un rôle clé dans mon apprentissage de cette œuvre. En revanche, si elle joue la 1ère Sonate de Gabriel Fauré, elle ne connaissait pas la Seconde. Donc, je me suis dit que si même une artiste de l’envergure de Julia Fischer ne connaissait pas cette sonate, je devais absolument la faire connaître à un public plus large.
Votre disque emprunte son titre à Notturno e Tarentella de Szymanowski ...
Je voulais, par les œuvres réunies dans cet enregistrement, offrir une vision poétique de la nuit. Il y a cette évocation de la nuit orientale dans l’œuvre de Szymanowski. Mais toutes les œuvres sont des visions différentes de la nuit, une sorte de périple nocturne. Chez Fauré, il y a également cette nuit sonore, dans laquelle il était plongé du fait de sa surdité.
« C’est une musique de fou, au sens artistique (et non psychiatrique !) du terme. »
Quittons votre disque pour aborder ce compositeur juif viennois de la fin du XIXème siècle (1873-1951), Oskar Posa, tombé dans l’oubli, que la pianiste Juliette Journaux, le baryton Edwin Fardini et vous-même faites revivre depuis quelques mois, à l’initiative d’Olivier Lalanne ... (2)
Un double album va paraître en début d’année prochaine. On y trouvera la Sonate pour violon et piano op. 7, que j’interprète avec Juliette, des lieder, des pièces pour piano seul, et l’unique et tardif Quatuor à cordes du compositeur, par le Quatuor Métamorphoses.
La partie de piano de la Sonate pour violon et piano est redoutable, et c’est une des raisons pour lesquelles cette partition n’a plus été jouée depuis un siècle. Quand je travaille une œuvre, j’ai besoin de la travailler également au piano, pour appréhender sa matière harmonique. Mais avec la Sonate d’Oskar Posa, je n’y parvenais pas. C’est trop difficile. Et ce que fait Juliette Journaux est incroyable ! Même quand je travaille une sonate de Brahms, bien que la partie de piano soit très difficile, j’y arrive, mais là, impossible. C’était le premier enregistrement de l’œuvre, donc beaucoup de responsabilités pour nous afin qu’elle ne retombe pas dans l’oubli.
C’est une musique de fou, au sens artistique (et non psychiatrique !) du terme ; un langage foisonnant, que nous avons tenté de rendre la plus clair possible. Et une œuvre qui demande énormément d’endurance.
Depuis janvier 2023, vous êtes la violoniste du Trio Helios (3), aux côtés du violoncelliste Raphaël Jouan, et du pianiste Alexis Gournel. Un trio qui semble vouloir explorer des répertoires inattendus ...
C’est l’une des missions que le trio s’est assignées. Quand j’ai rejoint Raphaël et Alexis, ils avaient déjà dix années de trio « au compteur », et j’ai dû rattraper le répertoire qu’ils avaient engrangé. Nous jouons bien sûr le grand répertoire, mais nous adorons l’exploration.
« C’est un paradoxe qu’un des compositeurs les plus populaires de l’univers de la musique classique soit l’un des plus difficiles à interpréter. »
Je vous ai entendue dans des répertoires très divers, et souvent techniquement très ardus. Y a-t-il un répertoire qui vous « résiste » ? Je ne parle pas de technique, mais d’affinités musicales.
Question intéressante… Je n’ai pas peur d’aller chercher des musiques méconnues, même si j’ai l’impression, parfois, de ne pas parvenir à les interpréter comme je le souhaiterais ! Mais s’il est une musique qui me pose le plus de problèmes, c’est la musique de Beethoven, qui parfois me met devant une sorte de mur, quelque chose d’impénétrable. Une musique qui va parfois contre ma nature qui tend plutôt vers l’effusion. C’est une musique d’une grande pureté, qui demande parfois de verrouiller certaines choses. Mais le travail avec Julia Fischer, tellement exceptionnelle dans ce répertoire, m’a beaucoup aidée. Grâce à mon apprentissage avec elle, cette musique m’a parue moins inaccessible. C’est un paradoxe qu’un des compositeurs les plus populaires de l’univers de la musique classique soit l'un des plus difficiles à interpréter.
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 15 octobre 2024
(1) 1 CD La Dolce Volta / LDV 127
(2) www.concertclassic.com/article/edwin-fardini-eva-zavaro-et-juliette-journaux-lecuje-affaire-posa-une-piece-supplementaire
(3) Trio Hélios : www.triohelios.com
Eva Zavaro & Clément Lefebvre
Œuvres de Fauré et Szymanowski
4 décembre 2024 – 20h
Paris – Salle Cortot
www.billetweb.fr/eva-zavaro-clement-lefebvre-notturno
6 décembre 2024 – 20h
Metz – Arsenal
www.citemusicale-metz.fr/fr/programmation/saison-24-25/arsenal/faure-szymanowski
12 décembre 2024 – 22h30
Vincennes – Auditorium Cœur de Ville
www.primalamusica.fr
Photo © Lyodoh Kaneko
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