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Psyché d’Ambroise Thomas au Müpa de Budapest – Que c’est beau, le style Napoléon III ! – Compte rendu

 

 
Visitant le chantier de l’Opéra, l’impératrice Eugénie, étonnée par l’éclectisme de cette architecture, l’aurait jugée dépourvue de style, à quoi Charles Garnier aurait répondu que son bâtiment était de « style Napoléon III ». Quand on entend Psyché d’Ambroise Thomas, opéra-comique créé en 1857, on se dit que cette musique-là incarne elle aussi le Second Empire, et que de beautés dans ce style Napoléon III ! La partition en est certes éclectique, autant que l’architecture de Garnier, mais elle est tellement réussie, dans les différents genres qu’elle aborde, que le mélomane est vite conquis et en redemande. 
 

© Bibliothèque de l'Académie de France à Rome - Villa Médicis

Vocalité exubérante et noblesse

Sur ce sujet mythologique a priori sérieux, jadis traité par Lully ou Mondonville, messieurs Barbier et Carré ont concocté un livret qui mêle lui-même le tragique et le comique : certes, l’héroïne est victime de la vindicte de Vénus, et la protection de l’Amour ne suffira pas à lui épargner les épreuves, mais elle a aussi deux sœurs aussi sottes que celles de Cendrillon, et deux soupirants entêtés et fats. Et comme si cela ne suffisait pas, Mercure se mêle aussi de tout cela, chargé par Vénus de punir Psyché d’être trop belle, le messager des dieux étant ici plein d’une verve qui le pousse à adopter divers déguisements pour mieux accomplir sa mission. L’année suivante, Offenbach serait voué aux gémonies avec son Orphée aux enfers jugé quasi blasphématoire, mais en 1857, cette mythologie amusante fut fort bien acceptée et Thomas connut un grand succès – une dizaine d’années plus tard, il s’essaierait au grand genre, avec Mignon et surtout Hamlet. Pour l’heure, loin des brumes nordiques, de Goethe ou de Shakespeare, le compositeur avouait encore une dette envers Rossini et les Italiens, recourant sans retenue à une vocalité exubérante, mais sans oublier la noblesse qu’imposait l’invocation des divinités de l’Olympe.
 

György Vashegyi  © Wagner Csapo Jozsef

 
Un fin connaisseur du répertoire français à la baguette

Psyché inclut donc tempêtes, cérémonies et tragiques coups de théâtre, qui cohabitent harmonieusement avec des moments de pure comédie, où l’écriture d’Ambroise Thomas se révèle d’une inventivité comique dont on ne l’aurait pas cru susceptible. La redécouverte est donc d’importance, et l’on rêve que cette œuvre reprenne le chemin des scènes. Encore faudra-t-il pour cela réunir des interprètes aussi adéquats qu’a su en trouver le Palazzetto Bru Zane pour cette résurrection attendue (initialement prévue en juin 2020, elle avait été reportée, et même l’enregistrement prévu à huis clos en novembre de la même année avait dû être abandonné, réunir un chœur et un orchestre dans le même espace étant jugé trop dangereux). C’est à Budapest que le projet a finalement été repris, et l’on salue d’abord le Chœur national hongrois, non seulement pour l’homogénéité de ses quatre-vingts membres, mais aussi pour la grande qualité de leur français. Quant à l’Orchestre national hongrois, il brille de tous ses feux sous la baguette experte de György Vashegyi qui, après avoir longtemps collaboré avec le Centre de musique baroque de Versailles, met désormais sa connaissance du répertoire français au service des compositeurs du XIXesiècle défendus par le Centre de musique romantique française. On peut donc s’attendre à un très beau disque, quand sortira l’enregistrement réalisé durant les quelques jours ayant précédé ce concert.

 

Tassis Christoyannis © Valeria Isaeva

 
Une distribution idéale

Et cela, d’autant plus que la distribution, qui a changé plusieurs fois depuis 2020 – seuls deux artistes ont « survécu » – se révèle excellente. Si Christian Helmer en roi n’a que deux phrases à dire en solo, tous les autres sont gâtés par la partition. Comme on l’a laissé entendre plus haut, les personnages comiques sont loin d’être secondaires : Mercedes Arcuri et Anna Dowsley se déchaînent en méchantes sœurs, tandis que les deux soupirants éconduits par Psyché trouvent en Artavazd Sargsyan et Philippe Estèphe deux titulaires idéaux, le premier aussi suave que le second est mordant, et l’on se souviendra longtemps de leur duo où ils oublient jusqu’à leur propre nom après avoir bu une potion fournie par Mercure. Celui-ci bénéficie de l’incarnation truculente de Tassis Christoyannis, dont on ne cesse de redécouvrir tout le potentiel comique : après le diable de Grisélidis, il est ici, une fois de plus, irrésistible et paraît s’amuser autant qu’il nous amuse.
 Hélène Guilmette (photo) est exquise dans le rôle-titre : grâce à la soprano québécoise, l’héroïne n’a rien de mièvre, elle séduit d’emblée par la sensibilité de son interprétation autant que par l’agilité de sa voix. On la sent peu à peu envahie par l’émotion, tant elle s’identifie à ce personnage dont elle traduit à merveille le bonheur et les tourments. Antoinette Dennefeld, enfin, montre une aisance confondante face aux difficultés nombreuses de la partition, qui exige d’Eros une virtuosité sans faille, tout en lui demandant l’autorité qui sied à ce dieu qui gouverne les cœurs : timbre superbe, diction impeccable, tout y est, et si Ambroise Thomas peut désormais compter sur de tels artistes, il est permis d’espérer que sa musique revivra.
 
Laurent Bury

 

 
Ambroise Thomas : Psyché (version de concert) – Budapest, Müpa, 12 février 2025

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