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Une interview de Huw Montague Rendall, baryton – « La scène est une sorte de thérapie »

 
 

Après François Le Roux, Simon Keenlyside, Philipp Addis et Stéphane Degout, le nouveau Pelléas s’appelle Huw Montague Rendall. En quelques saisons seulement et un premier album remarqué chez Erato intitulé « Contemplation », ce jeune baryton britannique élégant, au timbre jaspé et aux interprétations fouillées est entré sans attendre dans la cour des grands. Parents chanteurs, éduqué, cultivé, cette jeune pousse a pris son temps avant de réaliser qu’elle suivrait le chemin tracé par ses aînés. La direction de l’Opéra de Paris lui a confié le rôle-titre du chef-d’œuvre de Debussy, dont il partage l’affiche avec la Mélisande de Sabine Devieilhe. Aux commandes de cette nouvelle production, le metteur en scène Wadji Mouawad, de retour à la Bastille après Œdipe d'Enesco en 2021 (1), et le maestro Antonello Manacorda. Première le 28 février.

 
Rouen en 2021, en direct mais sans public (2), Santa Fe, Aix l’été dernier avec Katie Mitchell, votre quatrième Pelléas marque votre nouvelle apparition sur la scène de la Bastille après Papageno et Mercutio, dans la toute nouvelle production confiée à Wadji Mouawad qui succède à celle bien connue de Bob Wilson. Comment vous sentez-vous à quelques jours de la première ?

Bien !(rires), je dirais même excité, prêt à chanter ce grand rôle dans cette ville. Je vis cela comme un privilège car c’est le bon timing pour retrouver Pelléas, qu’il faut savoir espacer. Lorsque la proposition m’a été faite, mon entourage m’a encouragé à l’accepter même s’il y a des risques, car je n’ai jamais pensé que le rôle était fait pour moi. J’ai compris qu’il l’était en l’étudiant, puis en l’interprétant sur scène. A partir de là j’ai compris qu’il y avait de grandes affinités et qu’il était nécessaire de l’expérimenter. Je ne pensais pas avoir l’opportunité de retrouver ce personnage si rapidement et à Paris, ce qui explique pourquoi il m’a fallu quelques jours pour me décider à donner mon accord, mais je ne le regrette évidemment pas.

 
« Pelléas et Mélisande ont si peu de temps pour apprendre à se connaître, heureusement qu’ils parviennent à se déclarer leur amour avant que la mort ne les sépare. »

 

Pendant les répétitions ... © Elena Bauer - OnP

 
Ce n’est un secret pour personne que vous êtes le fils de Diane Montague et de David Rendall qui, comme on l’imagine, doivent être fiers que l’un de leurs enfants soit chanteur comme eux. Votre mère d’ailleurs a souvent interprété Mélisande, notamment à Lyon dans la mise en scène de Pierre Strosser. Son expérience dans cette œuvre vous a-t-elle été utile pour comprendre cette partition qui à chaque écoute peut sembler nouvelle et sans référence ?

Absolument ! Il est exact qu’à chaque fois que l’on se retrouve face à cet opéra on y trouve des choses nouvelles ou que nous n’avions pas décelées la fois précédente, un peu comme lorsque l’on est devant une toile de Monet ; il suffit de modifier la distance ou de se placer dans un autre angle pour découvrir de nouveaux éléments, remarquer d’autres détails qui vont alors nous interpeler. J’ai travaillé avec ma mère au piano et appris quantité de subtilités comme par exemple le fait de veiller à garder la longueur de la ligne de chant, de ne pas exagérer la prononciation du français, d’allonger les notes ou encore d’éviter d’aller contre la musique. Nous avons également discuté de la manière dont naissaient les émotions dans cette partition, en ayant conscience qu’elles sont soumises aux partenaires qui nous font face, chaque Mélisande étant différente, ce qui nous oblige à apporter des réponses qui ne seront jamais les mêmes. Pelléas et Mélisande ont si peu de temps pour apprendre à se connaître, heureusement qu’ils parviennent à se déclarer leur amour avant que la mort ne les sépare.

Vous avez dit récemment que « cet opéra a quelque chose de déprimant, de suffocant » et que vous avez dû apprendre à ne pas vous laisser envahir par les pensées de Pelléas qui, dans les premiers temps, s’infiltraient dans vos rêves. Mais n’est-ce pas le climat musical qui imprègne tout le drame de Maeterlinck baigné de symbolisme, qui plonge chaque personnage dans cet état ?

Tout dans l’œuvre en est imprégné en effet, de la nature qui entoure les personnages jusqu’à l’atmosphère générale qui les oppresse et les asphyxie au point de limiter leurs actions ou de les arrêter dans leur mouvement. Nous en avons beaucoup parlé ma mère et moi car elle était hantée par cet aspect sombre, par la densité qui enserre la partition. J’ai toujours du mal en répétition avant d’arriver à la mort de Pelléas : une fois cette résolution passée, je vais mieux, c’est comme une libération et je peux alors revenir sur l’ensemble du rôle, travailler les moindres détails, mais avant cela m’est difficile.

 

© Simon Fowler

« Pelléas plus qu’un autre rôle, demande à examiner les choses au microscope et vous ne pouvez pas vous détacher facilement de cette concentration. »
 
 

 
Qu’est-ce qui a déjà changé dans votre manière d’aborder le rôle de Pelléas depuis 2021 ?

… Ma voix a changé c’est sûr, elle est plus équilibrée aujourd’hui, plus assurée, non pas qu’en 2021 les choses étaient plus compliquées, mais mon approche était différente. Je la sens déjà plus mature, j’ai plus de couleurs et cela est normal j’avais 27 ans à Rouen, j’en ai 31 désormais, j’ai évolué et dans dix ans je ne serai plus le même. J’ai plus d’expérience forcément, je suis capable de soutenir avec plus de puissance les passages plus lourds et me sens plus fort lorsqu’il faut se séparer de ce personnage qui demande beaucoup d’engagement physique et psychologique. Il me faut au moins une semaine pour le mettre vraiment de côté, pour que je puisse ouvrir les fenêtres, m’aérer, prendre le temps de faire une pause comme ce sera le cas après la Bastille où je vais avoir un moment avant de passer à Bach. Pelléas plus qu’un autre rôle, demande à examiner les choses au microscope et vous ne pouvez pas vous détacher facilement de cette concentration.

Et tant qu’auditeur quel est l’interprète qui vous a le plus touché, inspiré, et pour quelles raisons ?

J’ai beaucoup écouté la version Abbado avec François Leroux que ma mère a eu pour partenaire à Lyon lors de sa première Mélisande, que je trouve très inspirante. Au disque toujours, Jansen et De los Ángeles, bien évidemment, mais je ne veux pas écouter les collègues. Je n’ai plus besoin d’apprendre la partition et ne veux pas être influencé. Ah j’oubliais Karajan avec Van Dam, Stiwell et Von Stade ; un enregistrement glorieux, une espèce d’expérience, magnifique.

 

Sabine Devieilhe © Anna Dabrowska

Curieusement ce rôle a été chanté par des ténors et des barytons, comme celui de Mélisande interprété aussi bien par des mezzo claires que par des soprano légers, ce qui n’est pas sans influer sur la tonalité générale de la musique. Quelle association préférez-vous et pourquoi ?

A ce jour j’ai eu affaire à deux types de Mélisande ayant eu l’opportunité de jouer face à Adèle Charvet et Chiara Skerath. La partition permet cette alternance et j’avoue ne pas avoir de préférence même si le mezzo lyrique semble très naturel, c’est aussi une question de timbre et l’on doit être capable de s’adapter à celui de sa partenaire, chanter plus fort avec une mezzo, de manière plus présente. Ici avec Sabine Devieilhe, il faut faire plus attention à la fragilité, penser à la balance, à la complémentarité et trouver la tonalité idéale.

 
« Mozart est le plus humain des compositeurs qu’il écrive pour les dieux ou pour les gens du peuple. »

 
Bien que vous chantiez l’opéra français vous avez débuté avec Mozart et Le Nozze di Figaro, compositeur que vous chérissez et espérez retrouver régulièrement dans votre carrière. D’où vient cette quasi-unanimité envers cet auteur et pour son écriture ?

C’est le plus humain des compositeurs qu’il écrive pour les dieux ou pour les gens du peuple, il trouve toujours le meilleur pour exprimer les sentiments les plus personnels qu’il s’agisse des rapports père-fils dans Idomeneo, ou des relations entre maitre et serviteur dans le Nozze. L’écriture est toujours parfaite et met en valeur toute l’étendue vocale. Cela ne veut pas dire que sa musique soit facile à chanter, car l’instrument comme les émotions sont exposés, mais c’est aussi une réparation, un baume que l’on prend plaisir à passer sur notre voix et qui nous permet de réaliser combien tout est extrêmement technique et demande une attention constante. Je dois retourner à Mozart pour vérifier si ma façon de chanter est convenable.

 

Le metteur en scène Wadji Mouawad © Patrick Imbert - Collège de France

Vous avez déclaré combien Pélléas vous poursuivait en dehors des répétitions, avoué que vous n’aviez pas réussi à vous identifier à Don Giovanni et qu’Hamlet était difficile mentalement, au point de devoir mettre en place un rituel pour marquer la coupure entre fiction et réalité. Avec tout cela prenez-vous du plaisir à interpréter des personnages simples, sans histoire ?

Oui bien sûr, j’aime Papageno, qui n’est pas aussi simple que cela d’ailleurs (rires). Mais oui j’aime son côté amusant, sa logique germanique, par rapport à Pelléas ou Hamlet il sait qu’il veut une femme, des enfants, une vie facile et simple, même s’il sent qu’il pourrait se tuer s’il n’y arrivait pas. Mon planning est plein de personnages mentalement chargés c’est vrai, comme Don Giovanni, mais je vais retrouver Almaviva que j’aime beaucoup jouer et chanter. Parmi les autres, même s’ils ne sont pas aussi faciles que cela, il y a Malatesta… en fait il y en a peu… (rires)

 
« La musique fera toujours partie de mon existence, mais avant d’en être convaincu, j’ai longtemps hésité entre cette discipline et le sport. »
 

 

Pendant les répétitions ... © Elena Bauer - OnP

Dans un monde polarisé, hyper connecté où l’information nous submerge, l’opéra a-t-il encore des choses à nous apprendre ou est-il voué à disparaître ?

Bien sûr qu’il a encore des choses à nous enseigner, l’humanité, l’empathie, le pardon, comment jouer Almaviva à la fin des Nozze si l’on est incapable de demander pardon ? Beaucoup de choses très différentes peuvent être partagées, encore faut-il qu’elles soient correctement racontées par des metteurs en scène qui ne s’amusent pas à en détourner le sens. Ici, sur cette production le travail est respectueux et les personnes qui découvriront cet opéra pourront constater que ce genre se régénère sans cesse et que l’exploration continue. Pour nous, interprètes, cela nous force à rechercher, à creuser du côté de la psychologie ce qui n’est pas sans conséquence car cela s’accompagne parfois de crises de dépression si l’on ne trouve pas le metteur en scène avec lequel on peut exprimer tout ce que l’on souhaite. Mais nous avons pour mission d’essayer malgré tout.

Chanteur comme vos parents, vous avez même reproduit leur schéma en partageant également la vie d’une cantatrice. N’y avait-il pas d’autre alternative possible et cela signifie-t-il que vos enfants prendront le même chemin dans quelques années ?....

J’espère que mes enfants, s’ils choisissent eux-aussi cette voie, auront été mis en garde pour éviter d’être déçus ; c’est une grande responsabilité. Je sais depuis quelques années maintenant que la musique fera toujours partie de mon existence, mais avant d’en être convaincu, j’ai longtemps hésité entre cette discipline et le sport. Au départ je voulais être policier (rires) pas pompier car je suis asthmatique, mais j’ai fait partie d’un groupe de rock, j’ai voulu faire du théâtre musical, ai chanté vers 16 ans un musical d’Andrew Lloyd Weber avant de réaliser que je pouvais chanter. A partir de ce moment j’ai pris des leçons avec mes parents, puis mon oncle, ai suivi une formation, sans jamais avoir été stressé. La scène est une sorte de thérapie et je comprends aujourd’hui qu’il était inévitable que j’y passe ma vie.
 
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur le 21 février 2025

 

(1) www.concertclassic.com/article/oedipe-de-georges-enesco-lopera-de-paris-mouawad-assume-le-mythe

(2) www.concertclassic.com/article/pelleas-et-melisande-lopera-de-rouen-streaming-les-tortures-de-golaud-compte-rendu
 

Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Les 28 février, 4, 9, 12, 15, 18, 20, 25 et 27 mars 2025
Paris – Opéra Bastille
www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/pelleas-et-melisande
 
 
Photo © Simon Fowler

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