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Pelléas et Mélisande selon Wadji Mouawad à l’Opéra Bastille – Charogne et sentiments – Compte rendu

 

 
Un chasseur perd la trace d’un sanglier et découvre une femme. Celle que Golaud jette sur son épaule, tel un dû, donne le ton du cérémonial poétique, mais implacable, imaginé par Wajdi Mouawad. L’actuel directeur du Théâtre de la Colline, dramaturge à la plume inspirée, signe une mise en scène où aucun détail du livret (lampe, porte, fontaine, forêt) n’est oublié, et trouve matière à une modernisation visuellement des plus excitantes.
La puissance émotionnelle de l’un des meilleurs livrets de l’histoire de l’opéra s’en trouve comme démultipliée. Tout est suggéré de cet univers médiéval terriblement contemporain. Cette mort qui rôde en permanence est incarnée par un ballet de charognes sanglantes. On se rappelle alors que Maeterlinck évoque, hors champ, la présence inquiétante d’un peuple en proie à la famine, terré dans des grottes – et condamné à se nourrir du pire : cadavres putrescents et restes indigestes.

 

© Benoite Fanton - OnP

 
Un travail vidéo en totale adéquation l’œuvre
 
Le dispositif scénique repose sur un écran de cinéma constitué de très fines lamelles, à travers lesquelles les personnages se fondent ou apparaissent, comme faisant corps avec ce rêve morbide qu’est l’univers de Maeterlinck. On retrouve ses couleurs et ses ambiances : teintes froides, paysages brumeux et presque sans horizon, images neigeuses, aquatiques que suscitent les mots et les notes. Le travail vidéo de Stéphanie Jasmin, de toute beauté, rappelle parfois les moments de forte intensité imaginés par Bill Viola pour le mémorable Tristan de Peter Sellars. Mais là où la projection vidéo écrasait la scène, elle en devient ici le mouvement, en adéquation avec le flux subtil de Claude de France.

 

© Benoite Fanton - OnP

Certains spectateurs ont été agacés par la projection des paroles sur l’écran. On applaudit pourtant cette trouvaille, qui fait pénétrer – littéralement – dans la langue du prix Nobel de littérature 1911, riche de conditionnels, d’ellipses et de métaphores fulgurantes. C’est l’un des mérites de cette liturgie visuelle, portée par un orchestre de l’Opéra en état de grâce. La direction, lente ma non troppo, d’Antonello Manacorda, rappelle tout ce que ce drame doit à Wagner, et surtout à quel point il en devient la quintessence en s’étant acquitté de son emphase.

 

© Benoite Fanton - OnP

Seul bémol peut-être : la disposition de l’écran, en retrait, ne permet pas toujours de percevoir le raffinement vocal des solistes. Ainsi, le petit Yniold (délicieuse interprétation d’Anne-Blanche Trillaud Ruggeri, soliste de la Maîtrise de Radio France) a du mal à passer la rampe. C’est aussi le cas du de  Golaud de Gordon Bintner, excellent acteur, mais qui, en ce soir de première, n’habite pas totalement son personnage. Cette psyché complexe et torturée, qui fait du demi-frère de Pelléas, l’un des caractères les plus fascinants de la jalousie lyrique, manque de nuances. Entendu en Guillermo dans le Così fan tutte de T. De Keersmaecker, il n’efface pas, dans notre souvenir, les Golaud de Simon Keenlyside, Kyle Ketelsen et Nicolas Courjal.
Magistral s’avère l’Arkel de Jean Teitgen, bienveillant, au timbre imposant qui offre à ce roi philosophe une épaisseur parfois oubliée dans d’autres productions. Sophie Koch est une digne Geneviève, tandis qu’Amin Ahangaran est une belle découverte dans le rôle du Médecin.

 

© Benoite Fanton - OnP

 
Huw Montague Rendall au-delà des attentes

 
Le temps du Covid, qui fit fermer les portes des théâtres, avait été illuminé par la découverte, en streaming, du Pelléas de Huw Montague Rendall, dans la reprise de la production aquatique d’Éric Ruf.(1) On n’aurait voulu manquer pour rien au monde cette prestation de chair et d’os. Elle est au-delà de nos attentes : vu ici comme un Timothée Chalamet mélancolique, le jeune chanteur anglais ne se contente pas de posséder parfaitement la diction française ; il fait preuve d’une magnifique ductilité et d’une émotion à fleur de peau. On comprend que ce rôle puisse hanter les nuits de cet artiste tant se révèle, à travers lui, les failles de l’âme humaine.(2)
La Mélisande impeccable de Sabine Devieilhe, frêle, énigmatique, aux couleurs lumineuses et discrètes, semble incarner un autre monde forme avec le jeune homme un couple d’une infinie poésie, que le metteur en scène, dans un geste symbolique et somptueux, finit par diluer dans la nature.
 
Comme un choc, cette représentation du pur chef-d’œuvre marque durablement. On ressort de cette production, venue remplacer celle de Bob Wilson dans le répertoire de l’Opéra de Paris, avec une furieuse envie d’y revenir…
 
Vincent Borel

 

> Les prochains concerts "Debussy" <

(1) Lire notre CR : www.concertclassic.com/article/pelleas-et-melisande-lopera-de-rouen-streaming-les-tortures-de-golaud-compte-rendu
 
(2) Lire l'interview de Huw Montague Rendall : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-huw-montague-rendall-baryton-la-scene-est-une-sorte-de-therapie

Debusssy : Pelléas et Mélisande – Paris, Paris Bastille, 28 février ; prochaines représentations les 4, 9, 12, 15, 18, 20, 25 & 27 mars 2025.
À retrouver en direct le 20 mars sur Pop - Paris Opéra Play, la plate-forme de l’Opéra National de Paris

www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/pelleas-et-melisande
 
Photo © Benoite Fanton - OnP 

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