Unis dans la vie, il le sont aussi sur scène pour cet « Enfant oublié » qui leur tient à cœur et les tient au cœur. Il y a deux ans, Chiara Muti et son époux David Fray créaient au Festival L’Offrande Musicale, à Tarbes, cette pièce bouleversante qui conte l’histoire du dauphin Louis-Joseph, fils de Louis XVI et de Marie Antoinette, mort à l’âge de 7 ans – le 4 juin 1789 – terrassé par la tuberculose osseuse. En forme de requiem pour un dauphin, cathartique et poignant.

 

© Caroline Doutre

 
Un pan tragique et méconnu de l’histoire de France
 
« Ils ont ouvert le cercueil, ils ont pris le cadavre de l’enfant et l’ont jeté dans la fosse. Quatre ans après sa mort il revoyait le ciel le jour même où j’allais à l’échafaud… » Au paroxysme de la douleur de cet « enfant oublié » Marie-Antoinette n’est plus soutenue que par la promesse de ce fils qui lui avait confié que, même mort, il l’aimerait toujours… Alors elle marche, digne, l’amour filial dans l’esprit et dans le cœur, vers la lame de fer. Projetés sur le tulle, les yeux bleus de l’enfant en gros plan fixent la salle ; noir, silence, quelques larmes et applaudissements à tout rompre. Pendant une heure et demie Chiara Muti et David Fray ont déroulé de façon très intime un pan tragique de l’histoire de France, trop souvent occulté du fait qu’il précède de quelques jours seulement la prise de la Bastille.
 
Lorsqu’il demande à son épouse d’écrire « L’enfant oublié », David Fray avait l’intention de créer l’œuvre au Festival L’Offrande Musicale dont il est le fondateur et le directeur artistique ; un festival humaniste et solidaire qui offre 20% de ses places aux personnes en situation de handicap et à leur accompagnant si nécessaire. Pour le pianiste : « le handicap ne doit pas être uniquement dans la salle, mais aussi sur scène. » Chiara Muti étant fine connaisseuse de l’Ancien Régime, le choix du couple s’est porté sur le destin tragique de Louis-Joseph. Mais pas que ! Avec puissance et pudeur, avec classe et sentiments, dans un français parfait, la comédienne déambule entre récitante et incarnation royale pour installer le drame dans le temps et l’environnement de la famille royale.

 

© Caroline Doutre
 
Une performance d’actrice
 
Ainsi, depuis les injonctions de Marie-Thérèse d’Autriche à sa jeune fille Marie-Antoinette lui demandant d’être plus active au lit afin de donner un héritier à Louis XVI, jusqu’à la Terreur et la profanation des tombes royales à Saint-Denis, l’histoire de France gravite autour d’un enfant et de son martyre engoncé dans un corset de fer qui lui meurtrit les chairs. Tout y est, la douleur de la mère, bien sûr, mais aussi celle de Louis qui revoit surgir les images terribles d’un passé qui l’a vu assister en 1761 à la mort de son frère aîné, le duc de Bourgogne, et qui a vu sa propre mère lui tourner le dos. Chiara Muti nous transporte à ses côtés pour vivre les déchirures, les coups de fouet, les brûlures au fer rouge du temps qui passe et qui voit l’enfant dépérir. Une performance d’actrice indéniable rythmée, ou plutôt accompagnée, comme le cheminement d’un couple se tenant par la main pour vaincre l’adversité, par David Fray.
 
Choix musicaux idoines
 
Si la violence, psychologique et physique, est partout dans le texte, la musique est autant de respirations qui permettent de regarder plus facilement la réalité droit dans les yeux. Le pianiste a choisi dans le répertoire baroque les œuvres d’où il pouvait extraire les plages musicales idoines. Rameau, Royer, Couperin, Lully sont présents ; Bach, Vivaldi et Haendel aussi, et même – une entorse à l’espace temps – Schumann et L’enfant s’endort des Scènes d’enfants. Toucher délicat, émotion, couleurs idéales : David Fray fait plus qu’apporter sa pierre à cet édifice artistique hors du commun ... Un grand moment !
 
Michel Egéa