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Wozzeck par La Péniche Opéra à l’Opéra de Reims - Epure théâtrale - Compte-rendu

Il y aura toujours un soupçon à l’égard des réécritures. Et pourtant leur intérêt dépasse souvent la simple adaptation à des formations réduites. Ainsi en est-il du Wozzeck de Berg dans la réorchestration (pour 21 musiciens) que John Réa a élaborée entre 1992 et 1995. Outre qu’elle ne trahit jamais l’original – exceptée la condensation du chœur d’enfants dans le personnage de l’Idiot, sorte de cristallisation de l’innocence importée d’autres traditions peut-être –, à tel point que la réduction de l’effectif s’avère d’une admirable discrétion, elle souligne avec une acuité accrue la théâtralité de l’opéra, ce que la mise en scène de Mireille Larroche a parfaitement saisi.

En jouant sur la translation de décors, elle recrée les lieux successifs du drame de Büchner au cœur d’un no man’s land urbain : la chambre du capitaine, surélevée comme un surmoi social écrasant pour Wozzeck, la caravane de Marie, campement temporaire d’une situation qui ne l’est pas moins, la décharge où se retrouvent les laissés-pour-compte du système, sous le regard voyeur d’un panneau publicitaire – la fameuse injonction je consomme donc je suis. L’actualité de l’œuvre résonne de brûlante manière, sans céder à une facile dénonciation en pantoufles. Ponctué par un rideau de toile blanche semé de graffitis, images des obsessions présentes et futures de Wozzeck, le spectacle rend palpable aussi bien la pression psychologique de la normalité qui a eu raison de la fragilité du soldat que la violence qui s’exerce sur les marges de la société – révélatrice de celle qui demeure souvent invisible au reste du corps social.

Ce travail sur la vérité théâtrale est relayé par un plateau à la diction vertueuse. Dans le rôle-titre, Andreas Scheibner se révèle convaincant de vulnérabilité. Capitaine percutant de perversité, Gilles Ragon fait l’économie d’un lyrisme que son timbre n’a plus. Barbara Ducret compense par la sincérité de son jeu une voix à la séduction moins immédiate que la Margret d’Aurore Ugolin. Eric Martin-Bonnet incarne un docteur sans faiblesse. Philippe Do se révèle un Andrès plutôt anecdotique, tandis qu’Yves Saelens ne s’embarrasse pas de délicatesse pour le tambour-major. Mentionnons enfin les deux compagnons (Alain Herriau et Florent Mbia), l’Idiot (Raphaël Brémard) et la blancheur encore inconstante de l’enfant jouée par Pauline Lestrelin.

On saluera l’efficacité de la battue de Pierre Roullier, sur un orchestre de l’Opéra de Reims que la réduction de John Réa ménage, ainsi que le Centre National de Création Musical Césaré pour le renfort matériel. Déjà présentée à l’Opéra d’Avignon, cette production de La Péniche Opéra se verra ensuite à Limoges et Rouen. Décapant l’opéra de Berg de son vernis lyrique, elle en met à nu la vérité théâtrale. Econome en moyens, elle mérite d’autant plus d’être largement diffusée.

Gilles Charlassier

Berg : Wozzeck – Reims, Opéra, 8 février, prochaines représentations à l’Opéra de Limoges, les 5 et 7 mars, et à l’Opéra de Rouen, les 29 et 31 mars et le 2 avril 2013.
www.penicheopera.com

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Photo : Mathilde Michel
 

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