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« Il faut toujours chercher à s'étonner soi-même » - Une interview de Svetla Vassileva, soprano
Après avoir vaillamment défendu Francesca da Rimini de Zandonai à l'Opéra Bastille en 2011, la soprano bulgare Svetla Vassileva y revient pour incarner cette fois Alice Ford dans le Falstaff mis en scène par Dominique Pitoiset et dirigé par Daniel Oren, du 27 février au 24 mars. Entre deux répétitions elle a pris le temps de répondre à nos questions et de faire le point sur une carrière menée avec l'énergie et la clairvoyance d'une femme de cœur et de tête.
Vous voici à nouveau invitée par l'Opéra Bastille pour célébrer l'année Verdi en interprétant Alice Ford dans Falstaff. Pour quelles raisons aimez-vous cette partition comique qui ne vous offre pas un rôle de l’envergure de ceux que vous interprétez généralement.
Svetla Vassileva : Je ne chante pas très souvent Alice, mais il s'agit d'une très belle partition dans laquelle je ne meurs pas à la fin (rires), ce qui est plutôt rare et très agréable. Ce rôle est de plus, très bien écrit et le caractère de ce personnage est particulièrement divertissant. Alice est un véritable leader parmi les femmes de ce groupe : elle est vive, exubérante, extrêmement active et entraîne son monde. Elle prend les décisions et agit comme le chef d'un clan. L'interpréter est très relaxant d'un point de vue cérébral par rapport aux autres personnages que j'ai l'habitude de jouer, plus dramatiques, profonds, puissants et qui demandent beaucoup plus d’investissement.
Ceux qui vous ont découverte à Paris dans Francesca da Rimini aux côtés de Roberto Alagna en 2011, vont être surpris de vous retrouver dans un registre plus léger et divertissant. Est-il important pour vous d'alterner des partitions vocalement plus lourdes avec d'autres moins exposées pour trouver un équilibre ?
S. V. : J'espère en effet que le public qui a apprécié ma prestation dans ce rôle très difficile de Francesca, sera heureux de constater que j'ai plus d'une corde à mon arc. Il est indispensable pour un artiste d'apparaître différent d'un rôle à l'autre et de montrer des aspects très éloignés de sa personnalité ; se cantonner à un type de répertoire ou de personnage, ou ne chanter que des rôles qui se ressemblent n'est pas très exaltant. Il faut varier les plaisirs, changer de peau, de caractère, d'âme ; il faut chercher en étonnant les autres, à s'étonner soi-même. J'aime énormément les rôles dramatiques, mais passer à des pièces plus légères comme Falstaff avant de revenir, comme ce sera le cas la saison prochaine, avec Madama Butterfly, est une nécessité, doublée d'une chance extraordinaire. A Paris j'ai pu alterner Francesca da Rimini avec Tosca (en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées en 2012), puis Falstaff, trois opéras parfaitement répartis dans mon agenda et j'ajouterais pour la voix, car un rôle comme Alice permet également de respirer, de faire prendre une pause à mon instrument entre deux œuvres plus exigeantes.
Parmi les différentes productions dans lesquelles vous avez chanté, celle effectuée au Teatro Farnese de Parme a dû vous marquer. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience réalisée il y a deux ans, dans laquelle votre Falstaff était déjà Ambrogio Maestri ?
S. V. : Oui, c'est exact : Ambrogio y incarnait d'ailleurs son premier Falstaff ! Je l'aime beaucoup, c'est sans doute le meilleur aujourd'hui, le plus proche de l'idéal imaginé par Verdi. Il est amusant, émouvant quand il le faut, prononce le texte comme personne et je suis vraiment heureuse de pouvoir le retrouver ici à Paris, dans la mise en scène de Dominique Pitoiset. A Parme dans ce lieu rare et magique qu'est le Teatro Farnese, à l’acoustique magnifique, le travail scénique réalisé avec l'équipe et le metteur en scène Stefen Medcalf a été particulièrement motivant et enrichissant. Nous avons essayé de retrouver l'esprit de l'époque qui je crois se ressent dans le dvd. Cette expérience m'a laissé de très beaux souvenirs.
Bien que votre voix vous permette de chanter le répertoire verdien, des œuvres russes, françaises, comme Cendrillon de Massenet, Nedda et Adina, vous êtes une parfaite voix puccinienne, puisque, à l'exception de La Fanciulla del West et de Turandot, vous avez à ce jour abordé pratiquement la totalité de ses opéras. D'où vient cette passion pour ce compositeur et cette fidélité à sa musique ?
S. V. : Ah, parce que je suis amoureuse de Puccini depuis toujours (rires). Si j’avais vécu à son époque je suis persuadée que je serai devenue sa maîtresse (éclats de rires). Je sais que je l'aurais aimé, c'est une évidence. Dans une de ses biographies, il y a un passage très cocasse qui raconte qu'un jour le maître était au piano et travaillait avec une chanteuse très attirante, elle aussi très attirée, et une fois la répétition terminée ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre. Sa musique est si puissante, évocatrice, je ressens très profondément tout ce qu'il a composé. Plus je fréquente ses opéras et plus je m'en sens proche, je n'éprouve jamais le moindre ennui, la moindre lassitude à chanter Puccini.
Peut-on parler comme par le passé, où chaque pays possédait un type de voix et de chant bien particulier, d'une école de chant bulgare, ou est-ce qu'aujourd'hui la manière de chanter est la même partout dans le monde ?
S. V. : Je ne sais pas vraiment comment les choses se passent aujourd'hui en Bulgarie, car j'y retourne rarement. Lorsque j'y ai fait mes études il y avait encore une école extraordinaire d'où sortaient de grands noms du chant tels que Boris Christoff, Nicolaï Ghiaurov ou Raina Kabaivanska, qui sont partis se perfectionner ailleurs et ont réalisé de grandes carrières, Comme l’italien, la langue bulgare est prédisposée au chant, avec ses voyelles très ouvertes. Je pense que la plupart des chanteurs aspirent à atteindre un modèle de chant lyrique idéal, défendu par la génération qui les a précédés, c'est tout à fait normal. Ce sont pour nous des maîtres auxquels nous voulons ressembler et ceci est valable dans tous les grands pays. Pour ce qui me concerne j'aime qu'une voix soit reconnaissable immédiatement ; la particularité, la spécificité, me plaisent, mais souvent les artistes n'en ont pas et ne font que bien chanter, sans se distinguer par rapport aux autres. J'ajouterai tout de même que la Bulgarie, malgré sa petitesse par rapport à l'Amérique par exemple, dont l'école de chant est souvent mise en avant, a toujours fait parler d'elle et su former de grands artistes.
Comment voyez-vous l'évolution de votre carrière dans les cinq prochaines années et quel sera votre nouveau défi ; vous devez aborder prochainement à Sydney Leonora de La forza del destino, mais après ?
S. V. : Oui en effet. Pour le reste... surprise (rires). Sans vous en dire davantage je peux vous assurer qu'il y a des choses très intéressantes sur mon planning, mais je ne veux rien dévoiler encore. Je vois un développement naturel et des rôles adaptés. Je dois vous avouer que je suis une grande rêveuse, mais pourtant jusqu'à ce jour, tout ce que j'ai imaginé s'est réalisé et à chaque fois au bon moment. J'ai cette chance. Comme j'ai décidé de ne plus chanter Violetta, je prévois d'aborder Leonora, non pas que ma vocalité ne me le permettait pas, car j’interprète des rôles lourds depuis le début de ma carrière, mais parce ce je suis mon développement physique et physiologique. Ma voix possède toujours les mêmes caractéristiques et elle a peu changé, mais j'ai appris à accompagner les modifications de mon corps et ses influences. Je sais parfaitement que si un rôle me fatigue je dois l'abandonner. Pour autant, le répertoire dramatique est celui où je me sens le plus libre.
Propos recueillis et traduits de l'anglais et de l'italien par François Lesueur, le 18 février 2013
Verdi : Falstaff
27 février, 2, 5, 9, 12, 16, 19, 22 & 24 mars 2013
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