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Raphaël Sikorski, coach vocal de l’Académie de l’Opéra Comique - Un précieux homme de l’ombre

Opéra-comique de chambre pour sept voix et piano, la Cendrillon de Pauline Viardot fut créée dans le salon de la célèbre artiste le 23 avril 1904. Cette rareté lyrique renaît pour trois représentations (17, 18 et 19 avril) à la Salle Favart, dans une production mise en scène par Thierry Thieû Niang et sous la responsablité de Mireille Delunsch pour la préparation musicale.

Introduit par quelques mélodies de Viardot et de ses contemporains, le spectacle présente la particularité d’être confié uniquement à des membres de l’Académie de l’Opéra Comique. Dans leur travail de préparation, il est un homme de l’ombre qui joue une rôle essentiel : Raphaël Sikorski (photo), le coach vocal de l’Académie. Fort d’une double formation théâtrale et musicale, il était la personne idoine pour guider les jeunes chanteurs dont il a la responsabilité.

Comment êtes vous devenu coach vocal ?

Raphaël Sikorski : J’étais acteur au départ, j’ai fait la rue Blanche et le Conservatoire. Mais j’ai toujours eu envie de chanter et je suis parti faire mes études musicales en Angleterre, au Royal College of Music chez Graziella Sciutti. En Angleterre déjà j’étais intéressé par l’enseignement et j’avais une classe d’art dramatique pour les chanteurs. De retour en France j’ai créé un cours d’art dramatique et de chant. J’ai rencontré le Dr Elisabeth Fresnel, une phoniatre avec laquelle je me suis associé. Elle a créé il y a une vingtaine d’années une équipe s’occupant spécifiquement de la voix (avec des orthophonistes, des psychologues, un kiné., etc.). Notre rencontre s’est produite un peu par hasard, c’était mon médecin et elle m’a proposé de travailler avec elle. Au début j’ai assisté énormément à ses consultations ; une chose formidable pour moi car de regarder des cordes vocales, des larynx m’a donné un vraie conscience du fait que l’appareil vocal est un instrument mécanique qui se travaille mécaniquement et qu’il n’y pas de secret dans la façon produire le son. La sensibilité, le talent de l’interprète sont une autre chose.

Au fil du temps, j’ai enseigné de plus en plus et j’ai créé un Cours vers 2001. Dans ce cadre j’organise deux stages de préparation aux auditions pour les chanteurs tous les ans, un travail mené avec la collaboration d’un agent, du chef de chant Bertrand Halary, qui s’occupe avec moi du coaching et du répertoire, et du metteur en scène Yves Coudray. Notre but est d’aider les chanteurs à mettre au point un répertoire d’audition. L’audition est en général un point très faible chez les chanteurs ; ils terminent leurs études sans avoir appris à s’y confronter. Que présenter à un agent, à un directeur de théâtre ? On voit parfois de jeunes artistes faire des choix complètement incohérents, sur lesquels il est impossible d’espérer être engagé. On les entend parfois dire «mon prof me dit que ça sera pour moi dans dix ans »… Fort bien, mais c’est maintenant que l’audition a lieu, maintenant qu’il faut présenter un répertoire cohérent.

Il faut aussi qu’ils sachent que le répertoire demandé dans les troupes en Allemagne n’est pas le même que ce que l’on demande en France. Il leur faut par ailleurs un CV qui tienne la route ; on les voit parfois arriver avec des choses impossibles... Ce sont des comportements très curieux de la part de gens qui se destinent à être des professionnels ; des comportements très typiquement français aussi. Beaucoup de jeunes chanteurs n’on pas conscience de l’importance de choses dont, tant qu’ils n’ont pas d’agent, ils doivent s’occuper eux-mêmes. Avoir une jolie voix ne suffit pas. Il faut leur remettre les pieds sur terre et éviter qu’ils soient dans le fantasme. Chanter est un vrai métier ; un métier difficile.

Je viens de vous observer en train de faire travailler un élève : par-delà les questions d’ordre vocal, la prise de conscience du corps dans sa globalité est l’un des grands axes de votre travail…

R. S. : Bien sûr, il faut travailler énormément sur le corps. Avoir fait du théâtre me permet de repérer des problèmes physiques, d’être proche du texte aussi, de ne pas être uniquement dans le son. Chanter des mélodies comme celles de Poulenc, que je viens de faire travailler devant vous, exige que l’on soit compris tout le temps ; ça n’a aucun intérêt sinon.

Comment s’est établi le lien avec l’Opéra Comique ? En quoi la perspective de travailler avec les jeunes chanteurs de l’Académie vous a-t-elle séduit ?

R. S. : L’Opéra Comique avait entendu parler de moi et m’a contacté par l’intermédiaire d’Antoine Manceau, le coordinateur général de l’Académie. Ce qui me semblait intéressant c’est d’être comme un guide pour ces chanteurs. Mon but n’est pas de leur faire oublier tout ce qu’ils ont appris. Je pars de ce qu’ils sont et j’essaie de les perfectionner, de les amener à être plus libres, plus compréhensibles ; de leur donner les moyens d’aller encore plus loin.

Comment, parmi les nombreux intervenants en présence, vous situez-vous dans la préparation des chanteurs de l’Académie à un spectacle de l’Opéra Comique ?

R. S. : Je me concentre sur la technique vocale ; c’est pour cela que je suis ici. Les chanteurs travaillent par ailleurs énormément avec les chefs de chant que sont Bertrand Halary et Marie Thoreau La Salle. Ils mettent les choses en place musicalement et j’interviens ensuite pour corriger tel ou tel point.

Participations à des spectacles ou à des séries données en parallèle, telle l’intégrale des mélodies de Poulenc : quel vous paraît être, pour ces jeunes chanteurs, l’intérêt principal du travail au sein de l’Académie ?

R. S. : Ce qui est intéressant c’est qu’ils sont sur un projet extrêmement ciblé ; l’opéra-comique français est une chose que l’on n’enseigne pas comme genre, or c’est un genre. Et un genre difficile : passer de la langue parlée à la langue chantée pose souvent des problèmes aux chanteurs ; ils se fatiguent énormément avec le texte parlé. Je pense qu’il est intéressant pour l’Académie de faire appel à quelqu’un comme moi qui dispose d’une double expérience théâtrale et lyrique. D’autre part, les chanteurs travaillent en général sur des airs d’opéras, rarement sur les mélodies…

A ce propos, j’imagine que la plongée dans celles de Poulenc a dû être aussi difficile qu’instructive…

R. S. : Ils ne se rendaient pas compte de la difficulté. Chaque mélodie est un univers en soi avec uniquement des difficultés !

En quoi la Cendrillon de Pauline Viardot que l’on découvrira bientôt se distingue-t-elle dans l’activité des chanteurs de l’Académie ?

R. S. : Ce spectacle présente la particularité d’être conçu spécifiquement pour eux et de ne faire appel qu’à eux, à la différence d’une production comme Ciboulette par exemple, pour laquelle les académiciens n’intervenaient qu’en doublure ou pour de petits rôles.

Quels sont vos projets en dehors de l’Académie de l’Opéra Comique ?

R. S. : Je n’interviens à l’Académie que jusqu’à la fin du mois de mai. Ensuite, j’enchaîne sur un stage de préparation aux auditions – le suivant aura lieu en novembre-décembre. Puis viendra le moment du festival « Les Nuits de Chéronne », que j’ai créé il y a trois dans la Sarthe, à Tuffé, et qui se déroule fin juillet-début août. Là encore, il s’agit d’un projet pédagogique construit autour des jeunes chanteurs et de leur mise en valeur. J’ai par ailleurs été récemment invité à donner une master-class à Montepulciano dans le cadre d’une académie créée récemment par l’agent Rafaela Coletti.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 14 mars 2013

P. Viardot : Cendrillon
Les 17, 18 et 19 avril 2013 – 20h
Paris – Opéra Comique

Site du Cours Raphaël Sikorski : http://coursraphaelsikorski.free.fr

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Photo : Pierre Grosbois
 

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