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L’Orchestre de Saint-Pétersbourg au Festival d’Annecy - De toutes les couleurs - Compte-rendu

D’un bout à l’autre du Festival, le Philharmonique de Saint-Pétersbourg l’aura soutenu de sa vigueur, de sa richesse sonore, et de son désir de se plier à d’autres expériences stylistiques que celles autrefois affirmées par Yevgeny Mravinsky, son chef de légende jusqu’en 1988. Depuis, Yuri Temirkanov l’a ouvert à de multiples directions musicales, l’emmenant partout dans le monde. Sa présence sur les bords du Lac d’Annecy est ici comme une résonance d’un autre grand réservoir de beauté russe, le Lac Baïkal, dont Denis Matsuev, âme slave du Festival dont il est aujourd’hui le directeur associé, est l’un des bardes passionnés, au point de mêler cet été les Etoiles de son Orchestre du Festival d’Irkoutsk aux jeunes du Campus d’Annecy, dont Fayçal Karoui dirigeait cette session.

Superbe virtuose, Matsuev fut l’une des découvertes de Pascal Escande, qui s’enflamma pour son jeu époustouflant peu après qu’Eliane Richepin lui eut légué en 1997 la direction du Festival d’Annecy, qu’elle avait fondé un quart de siècle auparavant. Depuis, Escande y marie deux de ses passions fondamentales, l’amour du grand piano russe, dont les maîtres ont été tant de fois conviés à Auvers-sur Oise, son autre festival, et le goût des territoires sans fin qu’ouvre la musique grâce à ses talents constamment renouvelés. Ainsi expérimente t-il cette année une formule nouvelle, celle des concerts-tremplins, confiés à des personnalités toute fraîches : Kana Okada, premier prix du dernier concours Piano Campus et la violoncelliste Astrid Siranossian, avec Andrely Dragan au piano. Le succès remporté par ces courtes séances, nichées dans une des accueillantes salles du Musée-Château, l’a renforcé dans son initiative. Mais ici, fidélité au lieu et star system se conjuguent en souplesse, avec Nelson Freire, Gidon Kremer et Temirkanov, celui-ci dirigeant les deux derniers concerts, outre les vedettes de la jeune génération, les Capuçon, Braley, Kadouch ou Buniatishvili, et pour finir un concert de Matsuev, immergé dans son monde favori, celui de Rachmaninov.

Deux exemples, deux temps inoubliables de cette édition sont à retenir particulièrement, car la passion et le talent des artistes y ont littéralement enflammé le public. Tout en générosité conquérante et richesse dynamique, Jean-Claude Casadesus a électrisé l’Orchestre de Saint-Pétersbourg pour une soirée consacrée à Beethoven : Coriolan n’a pas son pareil pour activer les réflexes d’un orchestre, et la 7e Symphonie fut envoyée avec une folle énergie, peut-être un rien de trop quand on sait son titre d’ “Apothéose de la danse“. Les danseurs, s’ils avaient été là, auraient eu du mal à suivre ! Mais l’apogée du concert fut le Triple Concerto, œuvre séduisante qui doit beaucoup à la magie du trio d’interprètes. Et là, tandis que Khatia Buniatishvili indiquait les lignes de force avec sa subtilité habituelle, Renaud Capuçon, de sa sonorité de cristal et Edgar Moreau de son violoncelle vibrant, se répondaient, s’entrelaçaient en un dialogue fervent et finement réactif. Transporté, le public les a ovationnés longuement, s’émerveillant de découvrir entre les deux jeunes stars, une plus jeune encore, Edgar Moreau, 19 ans, dont le violoncelle à la fois tendre et frénétique a presque fait oublier les grands anciens. On l’avait découvert en Révélation du Jeune soliste instrumental aux Victoires de la Musique 2013, après des lauriers flatteurs dans les plus grands concours, on n’oubliera pas ce talent qui s’annonce comme majeur.

Le lendemain, changement de cap pour l’Orchestre, en formation de chambre, avec l’élégant et sensible Fayçal Karoui encadrant une Sandrine Piau (photo) absolument éblouissante dans un concert Mozart. La tension montant à chaque air, tandis que la cantatrice enchaînait les Noces de Figaro (Suzanne) et Lucio Silla (Giunia), Don Giovanni (Donna Anna) et Mitridate, (Aspasia). Parvenant à l’acmé de ses moyens en d’opulents bis, sa voix fluide se veloutait et s’épanouissait en des aigus de plus en plus aériens, sans nulle trace de fatigue, bien au contraire. Le public, médusé, a suivi comme un film à épisodes la séduction qu’elle exerçait sur l’Orchestre, totalement sous le charme, et notamment le premier violon de la soirée, qui a littéralement joué pour elle, en des duos qui ressemblaient en de véritables pas de deux. Une admiration partagée par Temirkanov, soulevé de son siège par l’art et la présence de la soprano, et fasciné par l’osmose qui s’établissait entre « son » orchestre et cette française racée à l’élégance emblématique. Moments de pure jubilation, permis par l’acoustique de l’étonnante église Sainte Bernadette, à la modernité tranchée, mais si accueillante pour les 1000 personnes qui s’y tiennent, dans un confort inhabituel pour ce genre de sanctuaire.

Jacqueline Thuilleux

Annecy, les 21 et 22 août 2013

Annecy Classic festival, jusqu’au 30 août 2013 : http://annecyclassicfestival.com/

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Photo : © Yannick Perrin
 

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