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Paris - Compte-rendu : Scène de crime. Elektra revient à l’opéra de Paris dans une mise en scène qui renouvelle le sujet
Le rideau ouvert laisse voir un décor de hangar. Une buanderie où s’affairent les servantes d’un coté, de l’autre un plan élevé où s’entassent des chaises encadrent un ingénieux dispositif à trois niveaux. Un entresol au centre duquel l’armure d’Agamemnon repose sur un mannequin, dans une vitrine : Oreste, dés le début du spectacle, y est aux aguets, le cortége des oracles y opère son sinistre défilé, sinistre aussi déjanté soit-il avec sa pythie coiffée d’un cerceau de flammes en papier orange ; une passerelle à laquelle conduit un plan incliné qui deviendra le chemin de croix d’Electre; enfin une vaste ouverture rectangulaire donnant sur les appartements de Clytemnestre. Entre la buanderie et le dépôt de chaises, un ruban de police interdit l’accès à la scène du meurtre d’Agamemnon.
On craignait le pire, mais il n’advint pas, tout au contraire Le décor inventif mais à la réalisation bâclé de Jan Versweyeld, reprenant bien des poncifs du regieteater, permettait une circulation des personnages fluide, ce qui lui donna une vie dont il semblait devoir rester privé. La mise en scène d’Hartmann a fait mouche. Il orchestre avec brio la grande scène introductive que Strauss a confié aux servantes et inspire le trio de choc des trois premières « Magd » : Doris Lamprecht, Mary Ann McCormick (graves percutants, minijupe et cigarette provocantes), et Cornelia Oncioiu au soprano dardé.
Electre entre par la salle, elle dépose un sac de jute sur un petit proscénium disposé sur la droite devant l’orchestre : son fardeau de misère d’où elle extraira plus tard la hache inutile. Deborah Polaski n’a plus les aigus provocants de ses Electre berlinoises, la voix s’est confrontée à trop de Brunehilde, mais le personnage qu’elle compose demeure toujours aussi poignant : enferré dans sa douleur il ne lui laisse aucun répit. Les hommes décevaient : pour un Jünge Diener percutant et acerbe (Ales Bricsein, exemplaire) l’Egiste banal, au mieux pompette de Jerry Hadley, et l’Oreste sensible mais dépassé par sa tâche (vocalement comme dramatiquement) de Marckus Brück étaient de bien petits formats comparés à un Lorenz ou un Fischer-Dieskau. Hartmann a voulu son Oreste résolument différent, non pas le vengeur de service, mais un meurtrier par défaut : Clytemnestre lui prend le poignard pour mettre fin à ses tourments ; jolie idée mais pourquoi l’avoir dupliquée avec la mort d’Egiste, similaire ?
Ce copié collé prive Oreste d’une dimension psychologique supplémentaire, outre qu’elle confine à la redondance. Seul bémol, avec la tenue un peu ridicule de secrétaire de direction dont Chrysothémis est affublée, que l’on puisse trouver à cette soirée qui nous a offert deux révélations majeures. Non pas tant la direction disciplinée de Dohnanyi, exploitant toutes les touffeurs de l’orchestre straussien mais lui refusant le moindre métal que la Chrysothémis radieuse d’Eva Maria Westbroek, déjà remarquée in loco pour sa Madame Lidoine, dont les réserves d’aigu semblent infinies et qui enthousiasma le vaste vaisseau de Bastille. Mais surtout, la Clytemnestre au bord du gouffre de Felicity Palmer, élégante et hantée, atteinte d’un delirium tremens confit de remords et de terreur donne à cette production la puissance qu’elle peine parfois à trouver. Ne serait-ce que pour elle, il faut impérativement que vous fassiez l’expérience de cette Electre différente.
Jean-Charles Hoffelé
Première de l’Elektra de Richard Strauss, Opéra Bastille, le 18 juin, puis les 22, 26, 30 juin et les 4, 8 et 12 juillet 2005.
Photo : Opéra de Paris
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