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La Chronique de Jacques Doucelin - Albanel Dati même combat !
On avait bien vu passer les chiffres : on allait diminuer les subventions accordées par le Ministère de la Culture de 4%. Mais un pourcentage reste toujours abstrait tant qu’il ne s’incarne pas en suppressions de spectacles, voire en l’occurrence, d’institutions culturelles. Ce coup-là, ça y est et les têtes commencent à tomber. Trois théâtres lyriques sont, en effet, d’ores et déjà concernés : Avignon, Metz et Tours. De petites structures, certes, dont le budget annuel n’excède souvent pas celui des costumes d’une seule production de l’Opéra de Paris ! Sans doute, mais quelle utilité en revanche !
Car non seulement, ils pallient l’extension du désert lyrique français (faut-il répéter à Mme Albanel et au gouvernement tout entier, qu’il y a dans toute l’Allemagne réunifiée avec ses 80 millions d’habitants, cent théâtres lyriques contre une quinzaine en France pour plus de 60 millions de citoyens, alors qu’il n’y a pas moins de musées, et fort bien entretenus outre-Rhin que chez nous), mais ils servent de rampe de lancement à nos jeunes chanteurs. Qui se rappelle qu’un de nos plus brillants barytons actuels, Laurent Naouri, par ailleurs époux de Natalie Dessay, a fait ses débuts dans Don Juan à l’Opéra de Metz, et ses débuts tout courts dans le rôle écrasant de Christophe Colomb de Darius Milhaud au Théâtre impérial de Compiègne dirigé par Pierre Jourdan ?
A propos de l’Opéra de Compiègne, les socialistes qui tiennent le Conseil général n’ont pas peu contribué à désespérer Pierre Jourdan, aujourd’hui hélas décédé, auquel ils ont retiré toute leur subvention, sous le prétexte qu’il faisait des spectacles trop élitistes : tu parles ! C’est ce qu’on entend partout aujourd’hui parlant de musique dite avec condescendance « classique ». Mais que ces énarques et ces politiques de tous bords aient le courage de leurs opinions et de leur ignorance personnelles en ajoutant à ce lot Matisse, Picasso et autres Braque et Chaissac qui ne font pas, que je sache, un tabac du côté de Clichy-sous-Bois !
Mais que se passe-t-il donc au juste ? C’est ce que nous apprend le chef d’orchestre Jean-Yves Ossonce responsable de l’Opéra de Tours dans la lettre qu’il a adressée à son public où l’on peut lire notamment : « L’Etat projette de supprimer la moitié, voire la totalité des crédits alloués à certains Opéras régionaux et à certaines structures de spectacle vivant en France dès 2008. Pour ce qui concerne l’Opéra de Tours, il s’agirait d’une division par 2 de la subvention de l’Etat dès 2008, et de sa totale suppression envisagée à partir de 2009. Cette décision est lourde de conséquences pour une maison comme la nôtre, en particulier, elle entraînerait l’annulation de spectacles, dès 2008, et remettrait en cause à court terme l’existence même d’une structure lyrique à Tours…C’est le prélude à un désengagement annoncé de l’Etat et à un démantèlement de l’ensemble du paysage lyrique et culturel français. »
Car le théâtre et la danse ne seront pas épargnés, on peut faire confiance aux sabreurs de service, qui rêvent d’installer Disneyland au Châtelet… ou ailleurs…pourquoi pas à Versailles. L’exception française est morte. Du moins sur le plan culturel. Mais ceux qui tirent les ficelles du jacobinisme administratif et financier se portent au mieux. Tant mieux pour eux. Bien sûr, qu’il faut corriger la carte lyrique de l’Hexagone en amenant justement les directeurs à coopérer, à coproduire leurs spectacles pour en diminuer le coût et cela en modulant les subventions de l’Etat afin d’obtenir ce qu’on veut : par exemple, il y a un pôle à réaliser entre Avignon, Aix-Marseille et sans doute Toulon. Cela s’est réalisé dans l’Est avec l’Opéra du Rhin et plus récemment dans le grand ouest avec Angers-Nantes-Rennes.
Mais la suppression drastique des subventions n’est pas le meilleur moyen d’y parvenir. C’est même le plus sûr moyen de jeter le bébé avec l’eau de son bain ! Voilà, en tout cas, un procédé qui rappelle fâcheusement celui appliqué par Mme Rachida Dati à la désormais célèbre carte judiciaire. Le corollaire de tout ce remue-ménage c’est la concentration des crédits d’Etat sur quelques phares, parisiens naturellement, alors que l’avenir de notre vie culturelle se joue en région. Si Karajan n’avait pas fait ses classes à Ulm, vous ne connaîtriez même pas son nom. Ce ne sont pas les élucubrations de M. Mortier à la Bastille, qui lui permettent tout juste de manager sa carrière internationale à lui, qui comptent dans notre vie culturelle, mais tout ce qui se fait en AMONT, dans la discrétion, l’honnêteté professionnelle, la compétence, le dévouement pour ne pas dire l’abnégation.
Mais dites moi, s’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’Etat, à quoi bon ajouter une nouvelle usine à gaz à celles déjà fort dispendieuses qui existent déjà ? Je veux parler de l’Arlésienne, la grande salle de concerts de la Villette, face à l’Opéra de Paris, l’Orchestre de Paris, le Châtelet (même s’il dépend de la Ville). Regardons la réalité en face : depuis qu’on a rouvert Pleyel, ses responsables ont déjà le plus grand mal à garnir honorablement les 1.850 fauteuils. C’est peu de dire que le cycle Sibelius, – au demeurant magnifique, mais fort mal vendu parce que mal relayé par une presse de moins en moins culturelle – n’a pas attiré les foules alors qu’on avait l’un des plus grands orchestres du monde et un chef qui aurait pu être médiatisé à l’envi. D’ailleurs, j’aimerais savoir le pourcentage exact des places réellement payantes et pas seulement à Pleyel, mais aussi dans les autres théâtres musicaux de la capitale : on aurait des surprises.
Je ne parle pas de l’Orchestre de Paris qui attend benoîtement comme le Messie sa nouvelle salle. Il ferait mieux d’aller tout de suite chercher son nouveau public là où il est : Karajan après Munch est bien allé en grande banlieue. Cela n’a rien d’infâmant que je sache ! Mais les chats trop gras n’attrapent plus les souris. Ce qui a sauvé les baroqueux et continue d’assurer leur essor, c’est leur maigreur. Il faudrait peut-être songer à les aider un peu plus. Mais surtout pas trop ! Tout est question de doigté : il y a de l’argent pour la culture en France, mais il ne faut pas le concentrer sur les usines à gaz dont on sait qu’elles deviennent vite ingérables. Récemment, les producteurs privés (ce qui veut dire qu’ils travaillent sans subvention !) Jeanine Roze et Michel Franck expliquaient fort bien dans « La Terrasse » que c’est d’une petite salle dont Paris a besoin. Laissons parler les professionnels !
Pour sauver la culture en France, il faut surtout des hommes et des femmes de la trempe de Jean Vilar, qui œuvrent pour leur public et seulement pour leur public. C’est plutôt rare par les temps qui courent…
Jacques Doucelin
Lire le communiqué de presse de Christine Albanel du 13 novembre
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Photo : DR
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