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La Chronique de Jacques Doucelin - Adieu Béjart, bravo Beaussant !
Décidément ce triste monde ne peut pas nous laisser savourer en paix un pauvre petit bonheur. Il - le susdit triste monde - ne verra plus, en effet, le regard d’émeraude de Maurice Béjart se poser sur lui pour le transmuer en beauté. Danseur et chorégraphe, certes, le fils de Gaston Berger fit aussi des bénéficiaires collatéraux du côté de la musique : celui qui sut sacrifier le tutu pour sauver l’âme de la danse rendit également populaires les musiques les plus exigeantes, du Sacre du printemps de Stravinsky à la 9ème Symphonie de Beethoven en passant par les plus belles inventions de Pierre Henry. La musique dite classique attend toujours son Béjart pour entrer dans le XXIe siècle.
Evidemment, nul n’est prophète au royaume de l’administration jacobine et il dut s’exiler à Bruxelles et à Genève comme tous les grands créateurs français qui ne sont chez eux qu’à l’étranger… Auront-ils l’impudence de récupérer sa mort ceux qui l’ont chassé vivant ? Rappelons seulement ce premier rapport sur le monstre Opéra de Paris signé de la sainte trilogie culturelle française de la seconde moitié du XXe siècle : Béjart, Boulez Vilar, bien avant qu’on pense à lui faire prendre la Bastille !
Dieu merci, comme on dit, il y a aussi quelques bonnes nouvelles, et l’on voudrait croire qu’elles vont se multiplier à l’approche de la trêve des confiseurs… Le mouvement d’humeur de nos très chers machinistes de l’Opéra, justement, qui croient dur comme fer que la musique est aussi un moyen de transport malgré tout ce que Ravel a pu leur seriner, a coûté à la « Grande Boutique » la bagatelle de deux millions et demi d’euros par annulation de plusieurs spectacles. C’est que c’est très dur aujourd’hui, le métier de technicien à l’Opéra (mais au fait pourquoi s’empressent-ils tant à faire entrer dans cet « enfer » toute leur parenté, enfants, cousins ?).
Pourtant, les cabestans d’origine ont été remisés au musée depuis belle lurette et il suffit à la Bastille d’une pichenette pour faire avancer les chariots motorisés dont les déplacements sont programmés sur ordinateur. Ils ont évoqué les nuits passées loin de leurs épouses et de leurs enfants : ils ne sont pas les seuls, d’une part, et d’autre part, il ne travaillent que 171 jours pas an sur 365. Qui dit mieux ? On prendrait leurs jérémiades plus au sérieux si l’on ne savait pas que s’ils se sont opposés avec une telle vigueur à l’introduction des 35 heures dans leur convention collective, c’est qu’ils travaillaient déjà moins de 35 heures ! Heureusement que le ridicule ne tue plus…
Trêve de plaisanterie et de confiseur, voici une vraie bonne nouvelle : l’entrée à l’Académie française de Philippe Beaussant. Musicologue averti et styliste raffiné, auteur notamment d’une somme sur Lully écrite dans une langue digne du grand siècle, il a sa place dans l’illustre compagnie. Il fut l’un des pères fondateurs du Centre de Musique Baroque de Versailles dont l’ambition était de rendre voix au chapitre aux grands compositeurs de la cour de Louis XIV et de Louis XV. La recherche technique la plus pointue au service de la reconstitution des partitions oubliées y voisine avec le souci d’en former les interprètes, d’en répandre les œuvres grâce au concert dans les lieux de leur création et au disque. Le succès avéré de l’entreprise tient au fait que tout y avait été pensé et calculé par des hommes de l’art.
Philippe Beaussant est tout le contraire d’un bel esprit ou d’un bas bleu : comme dans son travail musicologique, il a toujours eu pour objectif dans ses livres qu’on osera qualifier de vulgarisation au sens noble du terme, de servir son lecteur, non point humilié et dégoûté par une phraséologie convenue et un jargon qui ne cache que la vacuité de ses auteurs, mais pris par la main par un maître et ami qui le conduit dans le jardin merveilleux de sa culture personnelle qu’il accepte généreusement de partager avec plus humble que lui. Le plus bel exemple de cette maïeutique en action est sans conteste son magnifique essai « Passages/ De la Renaissance au Baroque » (Fayard) où Beaussant passe en virtuose des « Noces de Cana » de Véronèse aux opéras de Monteverdi, du Tasse au Caravage, pour rendre sensible ce glissement subtil et presque insensible des esprits et des cœurs de l’un à l’autre.
Il s’est battu alors que le mouvement baroque ne suscitait encore que railleries, se figeant même parfois dans des positions étroites que les rigueurs du combat expliquent. Beaussant prône ainsi pour la mise en scène un retour, non à la bougie comme Eugène Green, du moins à son esprit. Ses vœux furent comblés par l’admirable travail de reconstitution réalisé par Benjamin Lazar sur Le Bourgeois Gentilhomme. Ce jeune metteur en scène a cherché à appliquer les mêmes codes anciens à l’oratorio de Landi Il Sant’Alessio que William Christie et ses musiciens viennent de présenter au Théâtre des Champs-Elysées.
Cette œuvre de propagande pour la Contre Réforme, destinée à reconquérir les chrétiens dans la foulée des pièces de Philippe de Néri, père de l’oratorio, fait appel à tout ce qui s’entend alors, pêle-mêle carnaval romain, opéras de Monteverdi ou Cavalli, madrigal etc…C’est un fourre-tout de bonne facture où l’on s’ennuie ferme en dépit du luxe de la production et de la maîtrise de Christie. Quand les francs maçons font leur pub avec La Flûte enchantée, c’est nettement mieux : Landi n’est pas Mozart.
CQFD.
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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