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Paris - Compte-rendu : Falstaff au TCE - L’esprit en moins
En choisissant les voies pratiques d’une production de pure tradition, strictement illustrative Mario Martone a-t-il eu raison? Pour Falstaff, ce n’est pas assez, d’autant qu’il manque à son spectacle l’étincelle nécessaire : le trille dionysiaque que le Cavaliere invoque durant son monologue de la Tamise n’y vibre jamais. Boito a bien mis l’essentiel de ses personnages dans leurs mots, mais ils doivent exister comme par un surcroît naturel d’eux-mêmes. Si on les joue à minima, un peu moderne, avec une pointe de componction, ils n’éclosent simplement pas, sans compter que l’on passe alors à coté de l’esprit buffo de l’œuvre, caractéristique quasiment unique dans toute la production de Verdi. Le décor lui même participe au ton posé de l’ensemble. Ce praticable aux escaliers et niveaux multiples permet une circulation parfois virtuose des protagonistes, et quelques effets sympathiques – on peut voir Falstaff se faisant beau tout au dernier niveau, presque dans les cintres – ; il apporte une atmosphère assez Dickens à la Jarretière, avant de tuer le spectacle pour la scène finale où le parc de Windsor n’est plus qu’une méchante peinture de fond déduite de Van Gogh, laide avec application.
Alessandro Corbelli n’est absolument pas, de voix, la basse bouffe que voulait Verdi, et dont Mariano Stabile reste le modèle classique pour nos oreilles modernes. Il joue un rien triste, raisonnable, hors sans Falstaff tonitruant et hâbleur, l’opéra finit par ne pas tenir vraiment, mystère d’un caractère qui fait quasiment la raison d’être de l’œuvre. Ceci posé, Corbelli fait très bien tout ce qu’il fait, avec un art du chant impeccable, mais où sont passés l’émotion et l’amertume de la Tamise ? Ludovic Tézier met des habits trop nobles à son Ford, mais la ligne, le bel canto resteront impérissables à coup sûr. Les compères de Falstaff semblaient refuser leurs aspects caricaturaux, ils en devenaient un rien ennuyeux, au contraire des commères. Marie-Nicole Lemieux compose une Quickly délicieusement jouée, sans les vulgarités que son emploi fait redouter, la Meg Peg de Caitlin Hulcup est presque trop élégante, d’allure sinon de voix, et les commères sont emmenées avec une sorte de brio irrésistible – comme elle sait mettre le théâtre dans ses mots ! – d’Anna Caterina Antonacci : on n’avait pas entendu une Alice aussi idéale depuis Ilva Ligabue. Et comme elle fait bien la biche dans le parc de Windsor, vous verrez. Lumineuse, touchante, délicate Nannetta d’Amel Brahim-Djelloul. Francesco Meli a beau avoir la voix du bon dieu, et un italien fringant, on lui en veut d’hurler ainsi Dal labbro il canto estasiato alors qu’il faut en faire du Mozart. Il y a ici quelques leçons à prendre chez Luigi Alva.
L’Orchestre de Paris aurait gagné à attaquer et à phraser, ses couleurs subtiles ne suffisent pas dans un opéra qui doit crépiter et dont la suractivité n’était saisi que par éclipses tout au long de la soirée. Alain Altinoglu n’a hélas pas tenté la version de Busseto, à l’orchestre allégé, qui aurait idéalement sonnée dans l’acoustique un rien périlleuse du Théâtre des Champs-Elysées.
Jean-Charles Hoffelé
Giuseppe Verdi, Falstaff, Théâtre des Champs Elysées, le 19 juin, puis les 23, 25, 27 et 29 juin 200
Programme détaillé du Théâtre des Champs-Elysées
Photo : DR
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