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Paris - Compte-rendu - Ozawa : un chamane à l'Opéra

L'entente parfaite entre les musiciens de l'Opéra de Paris et Seiji Ozawa remonte à la création du Saint François d'Assise d'Olivier Messiaen et à l'enregistrement qui a suivi en 1983 au Palais Garnier. Au fil des productions régulièrement dirigées à Paris par le maestro nippon, cette entente s'est muée en véritable passion. Celle-ci a littéralement explosée à l'issue du concert qu'a donné samedi soir à la Bastille le disciple de Munch, de Karajan et de Bernstein. Parler de triomphe pour le tout nouvel Académicien français(1) serait peu dire. Ce fut, en effet, une soirée que ceux qui y ont assisté ne sont pas près d'oublier.

Avant l'entracte, en guise d'échauffement, il y eut une Symphonie concertante pour hautbois, basson, violon et violoncelle en mi bémol majeur de Joseph Haydn, dont on dira seulement que pour une lecture à vue, c'était pas mal du tout, mais nettement insuffisant s'il s'agissait du résultat d'un vrai travail... La clef de notre désappointement fut livrée après l'entracte avec une 1ère Symphonie d'Anton Bruckner, si rarement à l'affiche, à tomber par terre. Toujours sans partition et à mains nues, Ozawa a réussi un véritable exploit : rejoignant le tout petit nombre des chefs réellement inspirés – Furtwängler, Karajan, Carlos Kleiber, Giulini , Abbado ou Celibidache – il a communiqué à des musiciens littéralement fascinés toutes ses intentions interprétatives.

Là où certains s'agitent comme des pantins, font des moulinets aussi grandiloquents qu'inexpressifs pour donner le change, lui ne perd jamais le fil du discours musical dans sa gestique à la fois passionnée et constamment lisible et contrôlée, capable de rattraper du doigt un soliste, ne ratant aucune entrée des différents pupitres dans le premier mouvement par exemple. Il ne cesse jamais de donner confiance, de rassurer ce prolongement de lui-même qu'est l'orchestre. En même temps, il le tient sous son charme au sens le plus magique du terme. Le miracle, c'est qu'en effet, il réussit à rendre signifiant ce petit corps souple comme un roseau animé d'une sorte de transe dans laquelle passe toute la partition considérée comme un grand arc, mais sans qu'en soit oublié le moindre détail.

Certains ont pu gloser stupidement sur la crinière poivre et sel d'Ozawa: ça n'est que l'envers d'un décor qui nous échappe ! Car ce qui compte pour les musiciens emportés par son mouvement, c'est son regard de feu, ses lèvres qui disent la musique, ses bras et ses mains, que le public ne voit pas, et qui malaxent cette lave avant même qu'elle ne jaillisse du volcan que fut le jeune Bruckner. Quelle légende stupide née de la timidité maladive de l'organiste de Saint-Florian a voulu ne voir en lui qu'un épigone de Wagner ! En 1865, Le Ring est encore à venir. Bruckner s'abreuve encore directement à Schubert et à Schumann et déjà au Wagner de Tannhäuser et du Vaisseau fantôme dont on sent passer le souffle de la tempête sur le pupitre des cuivres.

Cette symphonie, c'est un peu tout le Bruckner à venir dans sa virginité printanière avec ses grands écarts dynamiques, ses oppositions de timbres et ses thèmes qui naissent à foison. On songe à un Berlioz germanique. On a beau savoir que Seiji Ozawa a beaucoup souffert du dos ces temps-ci jusqu'à se mettre au repos durant plusieurs mois, on n'en croit pas ses yeux devant ce corps entier saisi d'une vraie transe chamanique dans les deux derniers mouvements, le Scherzo grinçant comme du Mahler et le final de feu. L'orchestre de l'Opéra est à la hauteur de ce qui se passe. Je ne citerai que la flûte enchantée de Catherine Cantin et de ses deux demoiselles d'honneur n'aspirant qu'au ciel de Bruckner. Cinquante minutes inoubliables comme le furent les concerts Bruckner de Celibidache dans ce même lieu lors de son inauguration. Merci Monsieur l'Académicien : l'immortalité vous a rendu votre jeunesse !

Jacques Doucelin

(1) Seiji Osawa avait été élu membre « membre associé étranger » de l’Académie des Beaux-Arts dès 2001 au fauteuil de Sir Yehudi Menuhin. Il n’y a toutefois été officiellement reçu que le 24 septembre 2008.

Opéra Bastille, 7 février 2009

> Programmation détaillée de l’Opéra Bastille

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Photo : DR
 

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