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Compte-rendu - Rasi, le ténor des Commencements
Il fut le premier Orphée de l’histoire, interprète du rôle-titre lors de la création de l’opéra de Monteverdi, le 24 février 1607, chez les Gonzague à Mantoue et, par ailleurs, acteur majeur dans toutes les productions qui jalonnent la naissance du dramma in musica dans les cours princières nord-italiennes.
Mettant son timbre si expressif de baryton au service des nombreux documents que l’époque nous a laissés sur le personnage, Furio Zanasi (photo) tentait donc en l’église des Billettes comme un portrait(1) : celui de Francesco Rasi (1574-1621) qui, né à Arezzo, fut le plus grand ténor du premier Baroque, principalement au service des Médicis à Florence. A la fois chanteur exceptionnel à l’aise dans toutes les techniques du buon canto, comme on disait alors (giri da voce, passaggi, notes ribattute et autres diminutions funambules que plus que quiconque il a contribué à inventer) et virtuose insigne au luth et chitarrone d’accompagnement, Rasi fut une légende vivante pour ses contemporains fascinés par tant de dons, d’autant que sa qualité de gentilhomme ne le mettait pas dans l’obligation de travailler pour subsister.
Et pourtant une espèce d’instabilité pathologique le poussera à bouger sans cesse, sillonnant tant l’Italie que l’Europe des princes, des Flandres à Vienne, à Prague et en Pologne où il accompagne le madrigaliste Marenzio en 1595. Et c’est sans doute ce déséquilibre existentiel qui le fera basculer dans le crime – le meurtre de sa belle-mère et de son intendant - pour de sordides raisons crapuleuses, sa condamnation à mort par pendaison et écartèlement n’étant en fait jamais mise à exécution, conséquence de la célébrité de l’artiste qui put continuer sa carrière pendant plus de dix ans à travers l’Europe sans être inquiété!
Reste que malgré ce sombre épisode, la gloire du chanteur a traversé les siècles, que l’immense talent de Zanasi, idéalement accompagné par le petit consort La Chimera, dirigé par Eduardo Eguëz, rend intacte comme au premier soir, au gré d’un programme pluraliste comme le Seicento les aimait.
Certes, Monteverdi y est à l’honneur, que le chant de Zanasi habite d’une flamme rare, quasi liturgique dans l’hymne au soleil Rosa del Ciel, tiré de l’Orfeo. Mais tous les monodistes qui ont compté dans l’aventure du stile recitativo lui font cortège. A commencer par Giulio Caccini, à l’ego surdimensionné, mais étonnant pionnier du « parler en musique » dans l’imagerie amoureuse de Dalla porta d’oriente ; et tout autant Benedetto Ferrari, le très talentueux assistant du dernier Monteverdi à Venise (l’ineffable duo conclusif du Couronnement de Poppée est de sa main, dont n’est pas indigne l’aria strophique Io son amante di un crin aurato qui associe le sens des mots à un lyrisme déjà opératique). Et il y a aussi le saisissant Lamento d’Orphée emprunté au Palermitain D’India – autre monodiste magnifiquement inspiré - que Zanasi habille d’un dolorisme irrépressible, avant les vrillantes récriminations de Et è pur dunque vero, un pur chef-d’œuvre de la rhétorique montéverdienne.
Bref, au-delà d’une interprétation, le baryton romain, au mieux de son pouvoir sur le texte et sur les affetti, réussit là une captivante incarnation, avec la caution précieuse de l’instrumentarium de la Chimera où chacun(e) est polyvalent, la réussite de l’ensemble devant beaucoup au savoir-faire d’ Eduardo Eguëz qui veille au général comme au particulier, ciselant des sonorités d’orfèvre sur sa panoplie de luths, théorbe et guitare baroque.
Roger Tellart
Eglise des Billettes, 15 mai 2009
(1) Signalons que la même équipe vient d’enregistrer le même programme chez Naïve (La Voce di Orfeo, réf. E 8925). Un album qu’on ne saurait trop recommander à tous les baroqueux, comme aux autres !
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Photo : DR
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