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Compte-rendu - Siegfried et Le Crépuscule des dieux à Bayreuth - Démythification et naïveté
Les deux derniers volets du Ring : Siegfried et Le Crépuscule des dieux appellent globalement les mêmes remarques que celles énoncées précédemment (1). On ne reviendra pas sur la plasticité de la direction d’orchestre de Christian Thielemann (photo) qui confère à cette Tétralogie sa dimension par la logique et surtout la fluidité d’une conduite symphonique culminant aussi bien dans les moments poétiques (Murmures de la forêt), l’effusion lyrique (le Réveil de Brünnhilde) que dans l’héroïsme ou le drame (le tellurisme de l’immolation du Crépuscule des dieux) sans jamais porter ombrage à la ligne de chant. Les musiciens (tous venus d’orchestres allemands, sauf Jean-Louis Ollu de l’Orchestre de Paris) rivalisent de virtuosité (en particulier l’intervention de Bernhard Krug du Gewandhaus de Leipzig, dans le solo de cor de Siegfried).
Il semble que le metteur en scène Tankred Dorst ait décidé de porter le mythe non plus sur le terrain de la démesure mais plutôt dans le rapport de l’Homme à sa propre histoire (la présence de personnages du monde réel étrangers aux dieux et à leurs avatars est à cet égard symptomatique). Une telle conception peut dérouter comme d’ailleurs les décors de Siegfried qui se situent tantôt dans une salle de classe initiatique (acte I), tantôt dans une forêt de troncs d’arbres surmontée par une autoroute en construction (acte II) ou encore dans une carrière désaffectée dont on subodore qu’elle va être occupée ou détruite (acte III). Le palais des Gibichungen où se déroulent traquenards et coups-bas pendant Le Crépuscule des dieux est de style art déco (assez proche finalement des décors du Cardillac d’Hindemith mis en scène par André Engel à l’Opéra de Paris) où les protagonistes en habits de cérémonie croisent un Siegfried hirsute sorti de la forêt et que l’on affublera d’un costume de mariage. Plus qu’à une direction d’acteurs (finalement assez simpliste), on a affaire à une illustration du Ring avec des instants évocateurs comme celui des Nornes dans un ciel étoilé cassant un fil virtuel de la destinée.
La distribution vise davantage l’efficacité que le dépassement de soi. Le Siegfried de Christian Franz tient la distance mais son chant n’est pas celui d’un Heldentenor puissant et héroïque, pas plus d’ailleurs que son allure de Papageno peut convaincre de sa force invincible. Il semble fade face à la Brünnhilde athlétique de Linda Watson dont la projection de voix ne se fait pas sans scories mais dont l’endurance sans grâce a le mérite de parvenir sans mollir au bout de la représentation. La Fricka assez terne de Michelle Breedt contraste avec le Wotan devenu Wanderer d’un Albert Dohmen qui assume avec une mâle autorité ses faiblesses et sa déchéance. Le Mime théâtral de Wolfgang Schmidt, vieux routier de Bayreuth acclamé par le public, est proche du Sprechgesang et manque de phrasé alors qu’Andrew Shore, en Alberich, incarne bien la complexité de ce nain dépité qui seul, survivra au cataclysme. Dans Le Crépuscule des dieux, le rôle de Hagen est magnifiquement tenu par Hans-Peter König, géant impressionnant, basse profonde dont l’appel au meurtre fait frissonner, tandis que son frère Gunther (Ralf Lukas), par son manque de caractère, crée le contraste en personnage dégénéré. Le monologue de Waltraute par Christa Mayer, venue à l’acte I pour intercéder auprès de sa sœur Brünnhilde, constitue l’un des moments forts de ce Crépuscule tant l’interprète assume son rôle avec une aisance qui laisse augurer un avenir prometteur.
Cette Tétralogie, par ses inégalités, n’aura pas été in fine le spectacle total voulu par Wagner tant la prestation de Christian Thielemann se place au-dessus de l’ensemble du plateau vocal et de la banalité parfois naïve de la mise en scène. Il s’affirme incontestablement comme l’un des grands chefs wagnériens qui devrait, après le Ring, diriger en 2012 à Bayreuth Le Vaisseau fantôme et en 2015 Tristan et Isolde dans une mise en scène de Katharina Wagner.
(1) Lire la critique de L’Or du Rhin et La Walkyrie
Michel Le Naour
Wagner : Siegfried et Le Crépuscule des dieux - Festival de Bayreuth, 23 et 25 août 2009
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Photo : DR
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