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Compte-rendu - Zémire et Azor à Royaumont - Gluck Grétry même combat !
Est-ce le fait de se prénommer Modeste qui a précipité dans l’oubli le compositeur liégeois André Ernest Modeste Grétry ? Il y a surtout que né en 1741 et mort en 1813, il s’est trouvé à la fin d’un monde vermoulu sans avoir la possibilité d’en accoucher un nouveau… Cette rentrée marque son grand retour, d’abord à Versailles où le Centre de musique baroque lui consacre ses « Grandes Journées » cet automne en présentant notamment L’Amant jaloux avant la salle Favart en mars 2010. Mais dès le week-end dernier, celui du patrimoine, c’est l’abbaye de Royaumont qui contribuait à cette redécouverte de Grétry avec Zémire et Azor donné dans le réfectoire des moines par l’Unité scénique de la Fondation Royaumont. Ce spectacle viendra lui aussi à l’Opéra Comique, les 16 et 18 mars prochains.
L’abbaye de Royaumont tient donc lieu désormais de laboratoire lyrique en ressuscitant des opéras oubliés. Tel fut le cas voici deux ans pour Cadmus et Hermione de Lully coproduit déjà avec la salle Favart. Cette année, ce sont deux opéras comiques de Grétry qui ont été mis sur le métier, La Fausse magie interprétée par Jérôme Correas et ses Paladins, et dont la version scénique est prévue pour l’an prochain, et Zémire et Azor, tiré par Marmontel du mythe de La Belle et la Bête conté par La Fontaine et repris par Jean Cocteau dans son film éponyme. Zémire et Azor est coulé en 1771 dans le moule de l’opéra-comique le plus pur, c'est-à-dire qu’y alternent scènes parlées, airs et ensembles chantés ainsi que pièces instrumentales.
Celles-ci sont magnifiquement défendues par le tout nouvel ensemble « Lunaisiens » fondé par deux chanteurs, le ténor Jean-François Novelli et le baryton Arnaud Marzorati. Ces dix musiciens n’ont pas leur pareil pour pointer la modernité et la beauté d’une musique qui, dégagée des pompes de la tragédie lyrique, sait traduire toute la fraîcheur des sentiments spontanés. Car la dénomination d’ « opéra-comique » ne doit pas faire illusion : on ne rit pas, car il ne s’agit nullement d’une gaudriole ou d’une farce napolitaine ressortissant à « l’opera buffa », mais bien de ce qu’on a appelé le « demi-caractère » pour désigner ces spectacles lyriques destinés à la classe bourgeoise qui venait pleurer aux « comédies larmoyantes » de Nivelle de la Chaussée. C’est de la tragédie domestique ponctuée de battements de cœur préromantiques.
Cette sensibilité nouvelle dont Gluck va s’emparer quelques années plus tard (1774) pour sa célèbre réforme parisienne de l’opéra, est déjà inscrite dans la partition de Grétry (1771). On sursaute, par exemple, lorsqu’on reconnaît les trois premières notes du fameux air « J’ai perdu mon Eurydice »… dans celui du père de Zémire : « J’ai perdu ma fille »… Cela pour dire que Grétry, défendu comme Gluck par la Reine Marie-Antoinette et ça n’est pas un hasard, n’avait rien d’un musicien passéiste ! Ce que l’orchestre et les chanteurs ont bien compris. Mais hélas, pas la metteuse en scène Alexandra Rübner, disciple d’Eugène Green, partisan du retour à la bougie et à une pseudo-prononciation « restituée » qui fait tout simplement parler les chanteurs comme des caricatures de paysans d’autrefois et dont la seule vertu est d’éloigner davantage encore ces œuvres du public d’aujourd’hui !
Dieu merci, les chanteurs prennent quelques libertés avec ces diktats, mais la direction d’acteurs qui en rajoute dans le larmoyant ferait plutôt pleurer… de rire. La distribution comprend une demi-douzaine de jeunes chanteurs dominés par le couple Camille Poul et David Ghilardi, Zémire et Azor. Bravo à ces jeunes musiciens qui ont de l’avenir !
Jacques Doucelin
Grétry : Zémire et Azor - Abbaye de Royaumont, 19 septembre 2009
Voir les vidéos réalisées à la Fondation Royaumont
Lire le portrait de André Ernest Modeste Grétry par Roger Tellart
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Photo : Victor Tonnelli/Fondation Royaumont
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