Dire simplement « orgue », à la différence des autres instruments dont le seul nom suffit à évoquer précisément de quoi il retourne, ne révèle absolument rien de la diversité de cet authentique caméléon. Un violon est et sera toujours un violon, aisément identifiable même au gré d'une histoire séculaire, mais qu'est-ce que l'orgue ? Chaque instrument apporte une réponse différente. Deux orgues de facture comparable, de même époque ou origine géographique et culturelle, peuvent se ressembler, jamais ils ne seront identiques – on imagine les années de lumière, un exemple parmi cent, séparant un orgue Renaissance italien, catalan ou flamand d'un grand instrument symphonique contemporain et polyvalent. Et pourtant, le principe vital de l'orgue demeure : l'air sous pression constante. Tous les lieux sont de surcroît différents, ne serait-ce qu'acoustiquement. On ne déplace pas un orgue comme un piano : on va à lui – l'orgue, instrument du voyage.

C'est sur cette idée, indissociable de l'orgue, qu'Isabelle Sebah, entourée du Quintette de cuivres Eterna, a conçu les soirées des 3, 4 et 5 décembre à Saint-Roch, le but étant de faire découvrir à un public non connaisseur cette étrange machine mi-divine, mi-diabolique : l'une des grandes et belles inventions de l'homme. Un public dont on sait qu'il tombe des nues lorsqu'il réalise ce qu'est réellement un orgue : la visite de l'instrument monumental de Saint-Eustache lors des week-ends du Patrimoine, à l'intérieur même du grand buffet de Baltard, en apporte chaque année la confirmation.

Données dans le cadre de l'Opération Souffle de Vie au profit notamment de la Fondation Greffe de Vie, ces trois soirées prirent la forme de concerts-conférences retransmis sur écrans et accompagné d'une (modeste) exposition de photographies dans les bas-côtés de Saint-Roch. Diversité oblige, au grand-orgue, à l'orgue de chœur ou pour le quintette de cuivres, les œuvres choisies tentèrent de refléter des siècles de création, Isabelle Sebah, avant la partie conférence, ayant ouvert la soirée avec l'immense Toccata en fa de Bach, restituée avec fougue et tempérament, clarté et un bel aplomb. Escaich, Wagner et Mendelssohn, Purcell, Balbastre et Haendel – Chœur Halleluja du Messie, arrangé pour orgue et cuivres en même temps qu'habilement superposé au negro spiritual O when the Saints go marching in, également Water Music – complétèrent cette évocation nécessairement partielle.

Devant une matière aussi dense et complexe, le risque est naturellement de saturer un public réceptif et de bonne volonté mais d'une capacité d'absorption nécessairement limitée : le propos ne pouvait qu'être global, sans pouvoir même entrer dans les questions d'esthétique instrumentale. La formule mise en œuvre par Isabelle Sebah à Saint-Roch, même si elle appelle un temps de rodage et de mise au point (idem pour la vidéo), apparaît riche d'enseignement, voire de promesses. Elle montre une fois encore le travail qui reste à faire pour sensibiliser à l'orgue un vaste public, l'instrument devant comme aucun autre être défendu contre vents et marées, à l'intérieur de son petit monde comme à l'extérieur, toujours en proie à une avalanche de préjugés tenaces, pour de bonnes ou de moins bonnes raisons. Le jeu en vaut assurément la chandelle, seule une vraie connaissance de cet instrument inépuisable pouvant en ouvrir les portes au « grand public ».

Michel Roubinet

Paris, Eglise Saint-Roch, 4 décembre 2009

Sites Internet :

Isabelle Sebah :
http://pagesperso-orange.fr/gerard-du-camino/Mon_site_web/orgues/orgue.htm

Concerts-conférences / Opération Souffle de Vie :
http://www.concert-orgue.com/
Fondation Greffe de Vie :
http://www.greffedevie.fr/
Quintette de cuivres Eterna
http://quintetteeterna.com/accueil.html

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Photo : DR