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La Chronique de Jacques Doucelin - Michel Plasson : de la difficulté d’être un grand chef français…
Michel Plasson aura donc dû attendre ses soixante-seize ans pour faire ses débuts à l’Opéra Bastille et quelque vingt-trois ans pour revenir à l’Opéra de Paris ! Il est vrai que c’est un chef français… Il apparut, en effet, pour la dernière fois au Palais Garnier en 1987 avec sa production toulousaine du Montségur de Marcel Landowski, dont il avait assuré la création mondiale deux ans plus tôt dans son fief du Capitole. En fait, il n’avait plus été réinvité à l’Opéra de Paris depuis Platée de Rameau, une décennie plus tôt. C’était l’époque où l’on croisait Michel Plasson à l’Opéra de Vienne ou au Met de New York pour des séries de Dialogues des carmélites en français et en anglais.
Il fut d’autant plus aisément estampillé « spécialiste de musique française », ce qui arrangeait tout le monde, la capitale se vouant tout naturellement au « grand répertoire international »… Tu parles ! A cela s’ajouta le fait que la firme EMI s’attacha à enregistrer un confortable et brillant catalogue d’opéras français avec Plasson et son orchestre du Capitole dont il a fait (on devait s’en apercevoir à son départ de Toulouse en 2003…) certes un instrument privilégié de l’interprétation de la musique française, mais tout bonnement l’une des grandes phalanges européennes. Quel handicap pour être invité à Paris, les jaloux de la capitale ne lui pardonnant pas ses succès discographiques ! Surtout que l’Opéra de Paris n’a pas de maison de disques attitrée et n’a réalisé pratiquement aucun enregistrement, si ce n’est le Saint François d’Assise de Messiaen créé par Ozawa. Encore cela fut-il extrêmement difficile.
Alors, gloire à Nicolas Joel, son successeur à la tête du Capitole, de lui avoir permis ce retour triomphal à Paris : l’un et l’autre, main dans la main, symbolisent la revanche de la province sur l’arrogance de la capitale. Car le public a littéralement plébiscité Plasson, et ce dès le premier entracte de Werther. Quant à l’Orchestre de l’Opéra, tellement rajeuni ces dernières années, il ne doit plus guère compter dans ses rangs de personnes à avoir déjà joué sous sa baguette. Un quart de siècle, c’est une éternité à l’aune de la vie musicale. Aussi bien, cela s’entend-il dans ce qui sourd de la fosse : dans la beauté du son, dans la réactivité inouïe des instrumentistes, on trouve la trace de la fascination qu’ils ont éprouvée face au vieux sorcier toulousain. C’est qu’il n’a pas son pareil pour éteindre un son sans en émousser le timbre.
Pas une note, pas une respiration des solistes n’a été couverte. La chose la plus extraordinaire, c’est sans doute la palette dynamique de la direction de Plasson, jamais mièvre, jamais tonitruant. Il a d’emblée sut prendre la mesure du monstre Bastille qu’il a dompté sans coup férir : jamais sans doute, depuis l’inauguration de ce lieu, on y aura entendu autant de musique, jamais le théâtre musical s’y sera fait poésie pure. Pas de mystère à cela : Plasson est depuis toujours un familier des vastes lieux, du Théâtre d’Orange, où les Chorégies lui sont restées d’une absolue fidélité qu’il faut saluer, au Palais omnisports de Paris Bercy où il a le courage de porter l’opéra. C’est que pour Plasson, la communion musicale est sœur de celle que favorise le sport. Si la montée dramatique de ce Werther s’opère de façon aussi inéluctable, c’est d’abord au chef qu’on le doit, qui aime et connaît ses chanteurs qu’il soutient sans relâcher jamais son attention.
Le public comme les musiciens ont reconnu spontanément cette qualité si rare qui explique l’ovation reçue par Plasson. Il faut croire que le moment était venu de dépasser tous les malentendus et de reconnaître l’évidence. Même si cela est une piètre consolation, Michel Plasson n’est pas un cas isolé, il se situe même dans une lignée brillantissime qui va de Pierre Monteux et de Charles Münch à la dernière génération de nos chefs d’orchestre qui font d’abord une carrière à l’étranger victimes des petites jalousies et des règlements de compte minables de la capitale. Souvenons-nous de Charles Münch qui mourut un an après avoir fondé l’Orchestre de Paris, à la demande de Marcel Landowski faut-il le rappeler…
N’oublions pas davantage Georges Prêtre que les institutions parisiennes ont toujours soigneusement évité, sauf quand elles ne pouvaient vraiment pas faire autrement. Callas et Schwarzkopf ne juraient que par lui. A quatre-vingt-cinq ans, il vient de diriger pour la seconde fois le concert de Nouvel An de la Philharmonie de Vienne : un sacre au royaume de la musique ! Au Japon, tous ces maîtres seraient considérés comme des trésors nationaux… A Paris, les réputations se font (et heureusement se défont) dans des officines de communication où le faire savoir tient lieu de compétence. Mais que surgisse un de ces maestros blanchis sous le harnais, et les idoles du jour tombent de leur socle de plâtre…
Ce que prouve merveilleusement Georges Prêtre, qui a par exemple triomphé dans Capriccio de Richard Strauss, c’est qu’il est vain d’enfermer les chefs français dans le répertoire national. Cela vaut tout autant pour un Münch, né allemand par les vicissitudes de l’histoire, premier violon solo du Gewandhaus de Leipzig sous la baguette de Furtwängler et autre Walter… Or, il se trouve toujours de longues oreilles chez nous pour voir en lui le prototype du « chef français ». La bonne blague ! C’est sa double culture, française et germanique qui fonde la richesse de son approche, en particulier dans la Fantastique de Berlioz si redevable aux symphonies de… Beethoven ! Et Plasson n’a pas moins bien dirigé Wagner ou Verdi que Gounod ou Massenet à la Halle aux grains de Toulouse. J’ai gardé le souvenir d’un Parsifal qui valait bien ceux de Munich.
Que nos jeunes chefs en exil - les Philippe Auguin, Yann-Pascal Tortelier, Louis Langrée, Bertrand de Billy pour ne citer qu’eux – se rassurent : quand ils seront bien vieux, lorsqu’ils ne feront plus peur aux fonctionnaires parisiens, ils auront enfin l’occasion de faire bénéficier de leur expérience leurs compatriotes instrumentistes. Car l’heure n’est pas près d’advenir où disparaîtra l’adage selon lequel un mauvais chef étranger est toujours meilleur qu’un bon chef français…
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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