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Une physicienne pour Emilie - une interview de Karen Vourc’h, soprano
Etonnant itinéraire que celui de Karen Vourc’h : la soprano a en effet opté pour une carrière musicale après un début de parcours scientifique (elle a obtenu un DEA de Physique théorique à l’ENS de la rue d’Ulm !). Doublure de Karita Mattila lors de la prochaine création d’Emilie de Kaija Saariaho à l’Opéra de Lyon, Karen Vourc’h aura ensuite l’occasion d’incarner le personnage de la physicienne du XVIIIe siècle, en alternance avec la soprano finlandaise, à Amsterdam fin mars. Un rôle qui fera suite à celui d’Annina dans The Saint of Bleecker Street de Menotti à Marseille. Mais l’heure est également venue pour Karen Vourc’h de signer un premier disque, avec la pianiste Susan Manoff, tandis qu’elle se prépare à être la Mélisande de l’Opéra Comique en fin de saison, sous la baguette de Sir John Eliot Gardiner.
Avant d’alterner avec Karita Mattila lors des représentations d’Emilie à Amsterdam, vous serez sa « doublure » à Lyon. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce rôle de « doublure » dont on parle rarement ?
Karen Vourc’h : C’est la deuxième fois que cela m’arrive, la première était pour Marius et Fanny avec le couple star Alagna-Gheorghiu, où j’étais la « cover » d’Angela, mais où j’assurais aussi deux représentations. Je trouve intéressant de faire des doublures si l’on a l’assurance de faire au moins une ou deux représentations.
Comment se passe le travail de répétition pour la doublure ?
K. V. : Tout dépend vraiment du lieu où on le fait et du metteur en scène. Dans son livre, Renée Fleming raconte qu’en Italie elle s’est un jour retrouvée doublure, ou plutôt 3ème cast, de Donna Elvira sous la direction de Muti. Elle est restée assise pendant toutes les répétitions sans jamais participer au spectacle. Un jour elle a dû faire une représentation et n’était pas du tout contente d’elle-même car elle n’avait jamais répété. Pour Marius et Fanny, j’ai eu la chance qu’Angela arrive très tardivement et c’est moi finalement qui ai fait toutes les répétitions et presque elle qui s’est retrouvée dans le rôle de doublure car c’était à elle de se mettre dans les places que j’avais prises. Je dis que j’étais doublure dans Marius et Fanny mais je le vois en fait comme un spectacle à part entière, comme s’il y avait eu deux castings, sauf que je devais être à disposition si Angela tombait malade.
Pour Emilie, étant donné que je suis prise par The Saint of Bleecker Street à Marseille en ce moment, c’est Karita Mattila qui fait les répétitions et je n’arriverai que la dernière semaine à Lyon. Je suis très fière d’être la doublure de Karita Mattila ; une chanteuse et une comédienne que j’admire beaucoup. J’aborde le rôle avec mon tempérament et il n’est pas question de refaire exactement ce qu’aura fait Karita.
Par quel hasard vous êtes-vous retrouvée dans ce rôle d’Emilie, aux côtés de Karita Mattila ?
K. V. : Ça s’est fait très tardivement. Lyon cherchait une doublure de Karita ; Kajia Saariaho avait entendu parler de moi, m’avait vue et je crois appréciée dans le Roméo et Juliette de Dusapin. Elle a tout de suite pensé à moi et m’a contactée. Au début j’ai refusé. J’aime beaucoup la musique de Kaija et j’étais très touchée qu’elle me fasse cette proposition, mais j’étais débordée et je craignais de ne pas avoir le temps d’apprendre le rôle. Il s’agit quand même d’un « one-woman show » en neufs scènes, c’est assez énorme. L’Opéra de Lyon a beaucoup insisté et finalement je me suis décidée car c’était l’occasion ou jamais. On n’a qu’une vie et je ne suis pas avare de travail. J’ai de longues journées en ce moment, mais j’ai déjà connu ça durant mon parcours de math…
Avec Emilie, il s’agit justement d’incarner une physicienne du siècle des Lumières. Quelles résonances particulières ce rôle trouve-t-il en vous compte tenu du background scientifique qui est le vôtre ?
K. V. : Dans son livret Amin Maalouf a repris des extraits de textes d’Emilie du Châtelet qui parlent vraiment de physique, une physique un peu « vieille » pour moi. Emilie n’a en fait pas été une grande physicienne. Elle s’est toujours entourée de professeurs de mathématiques et de physique ; elle a étudié énormément. A l’époque où elle était la compagne de Voltaire, elle a poussé ce dernier à participer avec elle à un concours sur la nature du feu : aucun d’entre eux n’a obtenu de prix. Emilie a surtout fait de la traduction d’ouvrages scientifiques (ex. Newton). Elle a aussi rédigé un manuel de mathématiques et de physique à l’intention de son fils, afin qu’il dispose d’un bon support pout étudier. Elle était curieuse, elle aimait comprendre les choses, mais ce n’était pas une chercheuse en physique. Plusieurs passages du livret d’Amin Maalouf sont des traductions des Principes mathématiques de Newton, sur les couleurs, le feu, la gravitation, la lune, les marées, etc. Ce sont des choses qui me parlent tout de suite, mais j’imagine que pour un non physicien c’est un véritable charabia qu’il faut apprendre par cœur sans comprendre exactement.
Comment se présente la partition de Kaija Saarihao ?
K. V. : J’aime beaucoup la musique de Kaija. Il y a toujours une masse orchestrale très belle, très douce, avec beaucoup de ruptures de rythme et d’ambiance. Quand interviennent les couleurs on trouve une atmosphère très particulière, très éthérée ; là où Emilie parle de sa passion pour Voltaire ou Saint-Lambert la musique se fait plus agitée ; quant elle évoque le feu on entend des instruments et des rythmes très… flamboyants justement. Je pense que Kaija Saarihao écrit vraiment bien pour la voix. Ce que j’aime dans les partitions contemporaines, c’est que l’on peut y faire des usages différents de celle-ci.
Vous allez aborder le rôle d’Emilie au sortir de la production de The Saint of Bleecker Street de Menotti à l’Opéra de Marseille… Le contraste est de taille ! C’est la première fois que vous abordez le personnage d’Annina ?
K. V. : Le contraste serait plus prononcé si je sortais d’un Massenet ou d’un Gounod. C’est la première fois que je l’aborde car l’ouvrage est très rarement donné, malheureusement car c’est une très belle partition, un très beau rôle tant sur le plan vocal que dramatique, et qui me correspond bien. J’ai déjà chanté des extraits du Téléphone ou du Médium, mais je n’avais jamais eu encore l’occasion de participer à un opéra entier de Menotti. The Saint est dirigé par un chef vraiment formidable, Jonathan Webb ; une rue de New York sert de décor à toutes les scènes, avec des ambiances différentes. On retrouve l’atmosphère de la communauté italienne à New York, emprunte de religion, de fête, de joie, pour une œuvre qui l’est moins, même si elle comporte beaucoup de moments joyeux. Mais d’après ce que j’ai vu à la générale hier, c’est un ouvrage qui fait pleurer…
Votre premier disque, un récital Grieg, Sibelius, Debussy, enregistré avec la pianiste Susan Manoff vient de sortir chez Aparté (1). J’imagine que ce choix de répertoire n’est pas étranger au fait que votre père est norvégien…
K. V. : En effet, et je me sens assez proche de cette culture, de la nature en Norvège. On peut avoir un membre de sa famille étranger et ne pas avoir particulièrement d’attaches avec ce pays et sa culture, mais il se trouve que je retourne avec bonheur chaque année en Norvège. Quand j’ai commencé à chanter j’ai découvert très tôt l’univers des mélodies et des lieder et je me suis tournée d’abord vers des Grieg, avant de découvrir Sibelius, Stenhammar, Alfven, Rangström, qui sont en suédois et pas en norvégien mais que je peux comprendre même si ce n’est pas exactement la même langue. Pour un premier disque, il me paraissait naturel de m’exprimer dans les deux langues dont je suis le plus proche : le français et le norvégien.
Debussy - particulièrement les Chansons de Bilitis - me semblait approprié par rapport à l’esprit de ce disque ; entre la nature, l’état amoureux, le clair-obscur aussi – clair-obscur qui se sent beaucoup, à la fois dans la musique et les paysages de Finlande ou du Nord de la Norvège. J’imagine tout à fait les Bilitis dans ce genre d’univers un peu glacé, celui de la reine des neiges, avec des histoires de fées, de glace, de roses qui piquent… Et puis, j’ai beaucoup chanté ces Bilitis avec Susan Manoff.
Une partenaire avec laquelle vous travaillez depuis longtemps déjà…
J’ai rencontré Susan au moment où je me suis présentée pour faire une masterclass avec Christa Ludwig où elle était accompagnatrice. C’était au début de mon parcours, je crois que j’enseignais encore à Louis le Grand - où j’ai passé une année qui a constitué une bonne transition entre mon parcours scientifique et le chant. Nous ne nous sommes plus quittées depuis. Susan m’a beaucoup appris en tant que chef de chant. D’élève, je suis passée à amie et à partenaire de récital ; c’est une belle histoire.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 10 février 2010
(1) Un cd Aparté/AP003
Pour en savoir plus sur Karen Vourc’h : www.karenvourch.com
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Photo : DR
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