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Compte-rendu : Ma petite comédie ! * L’Or du Rhin à l’Opéra Bastille
Tout allait plutôt bien dans ce Rheingold jusqu’à ce que le commando putschiste des géants communistes – hésitant furieusement entre Sud Rail et le GIGN – ne fassent irruption dans la salle et sur le plateau pour soutenir Fafner et Fasolt.
Ah !, Wagner et la politique, pont aux ânes imprescriptible de toute Tétralogie… Günter Krämer traite tout cela avec une certaine ironie mais souligne tout de même : lorsque le Niebelheim paraît, un miroir se tourne vers la salle, nous faisant entendre que nous sommes tous des Niebelungen ; et il cite beaucoup : les brouillards de Chéreau (dispensés par un appariteur-fumigateur), le grand pendule de « Metropolis » (et quitte à convoquer Fritz Lang, pourquoi ne pas avoir été chercher du côté des « Niebelungen » justement, mais l’esthétique du spectacle l’interdit il est vrai), un final déduit des « Dieux du stade » de Leni Riefenstahl. Cela risquerait de faire fatras, le tour de force est bien que le récit s’y coule toujours avec fluidité et clarté. Et au fond, même si l’on rêve toujours d’un Ring philologique – impossible à Bastille mais probable à Garnier - avec le vrai orchestre de Wagner, les machineries, les toiles peintes, le frêne, les casques et le merveilleux - on sait gré à Krämer de nous avoir évité une lecture façon post-atomique. Ouf.
On ne le dédouanera pas pourtant de certains abandons, citons en un au passage : lorsque, Freia recouvrée, les dieux retrouvent leur jeunesse, ils renfilent leurs combinaisons de muscle comme se changeant dans un vestiaire. Il y avait pourtant là matière à un beau geste de théâtre que le metteur en scène a préféré banaliser. Il doit avoir ses raisons.
Sinon Rhin prenant, personnifié par une armée de mains en lumière d’or, Niebelheim minier et hypnotique (le pendule-hache), changement à vue réussis avec virtuosité (l’avantage de Bastille, le seul ?), Walhalla en escalier et un très méchant globe terrestre, laid, très laid, d’où Wotan surveille son château.
La direction d’acteur sait être prenante mais uniquement lorsqu’elle rencontre justement des acteurs : l’Alberich de Peter Sidhom, le Mime de Wolfgang Alblinger-Sperrhacke, et surtout le Loge de Kin Begley, qui pour son feu est alimenté par le gaz de ville, font de vrais personnages (et pour Begley avec quelques moments de génie : sa terreur mêlée de lassitude après que Wotan ait coupé le doigt de Mime).
Que Falk Struckmann soit naturellement d’instrument et d’incarnation un Wotan ne se discute pas, tout comme il parait évident qu’aujourd’hui on attend plus de finesse psychologique, d’arrière-plans pour incarner la colonne vertébrale du Ring – mais attendons La Walkyrie avant de nous prononcer.
Dieux parfaits avec une mention spéciale pour le ténor perçant de l’excellent Marcel Reijans qui donne à Froh, trop souvent sacrifié, un vrai profil. Filles du Rhin de grand luxe (la Welgunde de Daniela Sindram, un Octavian de rêve par ailleurs), Erda transformée en veuve Cosima (et pourquoi sinon, pour une belle image soudain, qui réintroduirait la sphère privée dans l’œuvre du compositeur ?) splendidement chantée, avertissant plus que menaçant, selon Qiu Lin Zhang. Mordante paire de géants, le tendre Iain Paterson en Fasolt, l’athlétique Günther Groissbock, enfant terrible de la nouvelle scène wagnérienne, en Fafner assassin (on espère beaucoup vocalement de son dragon, reviendra-t-il pour Siegfried la saison prochaine ?). Deux mentions spéciales : le Freia touchante d’Ann Petersen, chantée haut et clair avec ce placement typique des voix nordiques, et au-dessus de tous Fricka selon Sophie Koch, noblesse du ton, élégance de la ligne, allemand sonore, une mégère jamais, une déesse, une vraie, admirable.
Bémol et d’importance : il est certain que Philippe Jordan construit un Ring, qu’il veut clair et élégant. Mais Rheingold avec son orchestre amer et narratif se moque comme d’une guigne de ces considérations modernes : il veut de la rage et du sang, du théâtre partout et tourne le dos à toute velléité symphonique ; écoutez Karajan, Böhm ou Boulez - d’ailleurs présent dans la salle pour cette première. La direction analytique du directeur musical de l’Opéra de Paris reste trop constamment distante, sinon prudente : ça et là l’orchestre brille (et il avance, trop peut-être), çà et là il prend parfois l’eau. C’est tout simplement que la fosse est confrontée pour la première fois à la Tétralogie qui a vraiment son propre langage, pari devenu fou après l’abandon successif par tous les directeurs de la Grande Maison depuis Liebermann - qui d’ailleurs avait cané devant Siegfried) de ce pilier du répertoire.
Soirée historique en somme, portée par la volonté d’un homme qui connaît son Ring sur le bout des doigts (et en avait proposé à Toulouse une lecture passionnante, restée trop méconnue). On est impatient de voir comment tout cela se développera pour Walküre.
Jean-Charles Hoffelé
* C’est ainsi que Wagner nommait affectueusement son Rheingold.
Wagner - L’Or du Rhin – Paris, Opéra Bastille, le 4 mars, puis les 10, 13, 16, 19, 22, 25 et 28 mars 2010
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Photo : Opéra national de Paris/ Charles Dupratac
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