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Compte-rendu : La Sublime Porte est parmi nous - Müsennâ aux Bouffes du Nord
Reflet d’un très joli album – La Sérénissime et la Sublime Porte – paru en 2007, le spectacle Müsennâ jette un pont bienvenu entre Orient et Occident, dans un monde où les tensions n’ont jamais été aussi vives. En fait, ce préambule ne doit pas égarer, car il s’agit d’un spectacle qui se veut d’abord évasion et invitation au voyage, perpétuant la tradition millénaire des échanges culturels entre les peuples de la Mare Nostrum. Un dialogue qui propose un autre regard, en particulier sur les rencontres et métissages qui, depuis toujours, ont façonné le dialogue musical entre les deux cultures.
Mais d’abord, quelques points d’histoire. Depuis la chute de Constantinople en 1453, le Grand Turc a fait sa résidence du Palais de Topkapi. Une « ville dans la ville » qui abrite plusieurs milliers de personnes au service du Sultan et de son harem. Bouffons, danseurs, musiciens, bateleurs – qui ne sont pas tous nés musulmans, mais ont été convertis à l’Islam ultérieurement.
Dans cet environnement pluraliste, les musiques de la Sublime Porte s’avèrent des lieux de rencontres privilégiés entre les diverses traditions méditerranéennes : diasporas séfarades et arméniennes et, bien sûr, musiques de Turquie et de Venise, l’orientalisante.
Reste une différence fondamentale : alors que les Académies (ou Camerate) italiennes inventent la nouveauté expressive du style recitativo et de l’opéra au tout-début du XVIIème siècle, la musique savante ottomane se complaît à Topkapi dans une tradition orale qui se transmet de maître à disciple et ignore le truchement du signe écrit.
C’est précisément, cette belle histoire que nous conte Müsennâ, proposant comme une « vitrine » conviviale des fêtes et divertissements à Istanbul (le nom turc de Constantinople) dans le cadre heureusement « décalé » des Bouffes du Nord. Un spectacle qui réunit danses, théâtre, chant et musiques (bien sûr empruntées aux deux univers) et propose à notre imaginaire un rêve charmeur, même si l’esprit de la farce se fait parfois trop insistant dans les intermèdes turcs…
Reste qu’un vrai bonheur vient des musiques, à l’image de l’Ensemble La Turchesca qui fait son miel des danses colorées de Kapsberger et Calestani, entre autres, cependant que le chant de Chimène Seymen, directrice musicale de la production, sait émouvoir dans le vrillant lamento Lagrime mie de Barbara Strozzi, digne du dolorisme montéverdien. Et cette impression favorable est confortée par l’heureux activisme de l’Ensemble Cevher-i Musiki, juste gardien des traditions du sérail (la flûte ney de Kasif Demiröz) dans le réveil des pages ottomanes ; celles-ci empruntées, pour l’essentiel, au manuscrit Mecmûa i Saz û Sôz, compilé par Wojciech Bobowski (1610-1675). Né en Pologne, Bobowski sera captif à Istanbul où il se convertira à l’Islam sous le nom d’Ali Ufki Bey pour devenir l’un des musiciens favoris du sultan, servi par un atout majeur : il savait l’art de la transcription en notation européenne des airs de la cour impériale. Sans poursuivre, on saura gré aux uns et aux autres d’avoir rendu l’exhumation tout ensemble séduisante et crédible.
Roger Tellart
Paris, Théâtre des Bouffes du Nord - 29 mars 2010
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Photo : Gautier Pallancher
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