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Compte-rendu : Pari risqué, pari gagné ! - Gianandrea Noseda dirige Rachmaninoff
Certains concerts sont furieusement déraisonnables. Pensez donc, toute une soirée Rachmaninoff, et en plus dévolue à des œuvres réputées difficiles. Gianandrea Noseda, attelé au disque avec son Orchestre Symphonique de la BBC dans ce qui semble bien devenir volume après volume une intégrale de l’œuvre avec orchestre (1) est responsable de ce pari risqué mais gagné : le Théâtre des Champs-Elysées était plein comme un œuf, sa scène aussi.
Un peu trop peut-être : les grandes phrases chorales de Vesna (Le Printemps), son écriture massive, chargée de cuivres sombres et irisée de flûtes et de clarinettes, ne pouvait pas se déployer totalement dans l’acoustique restreinte du théâtre : les pleins se voyaient trop, les déliés s’évaporaient. Le tranchant splendide et très noir d’Alexei Tanovitsky taillait à vif dans cette masse sonore, faisant mordre les mots dans l’harmonie surchargée : admirable leçon de chant parlé, et pourtant superbement tendu dans le velours du timbre, qu’il reproduira à l’identique dans Les Cloches.
Boris Berezovsky avait voulu expressément donner sa chance au réputé abscons 4e Concerto : l’orchestre y tient une part déterminante, c’est probablement le plus complexe, de rythmes, d’équilibres, de textures, qu’ait laissé couler la plume de Rachmaninoff. Mais le piano flamboyant et asymétrique, hors style si l’on pense aux canons du compositeur, y est toujours à égalité avec l’orchestre. Un concerto ? Un ovni, qui ne se compare vraiment qu’au Second de Bartok, ou à « Incantations » de Martinu.
Dès l’entrée, Berezovsky cale le martelato dans les pizzicatos des cordes, ardent, rapide, tendu comme le faisait Rachmaninoff au disque, il emporte tout d’un seul geste, filant sur les tempos vertigineux que lui offrent Noseda et un National au sommet de son art, tout en saillie : la fièvre est là, on n’y échappe pas. La salle, transportée par le finale, éclate : elle aura son bis, ce même finale redit un peu en dessous de tempo, chanté un peu plus sans que jamais l’éclat furieux ne s’en déprenne. Admirable, les avocats ont gagnés : ce concerto n’est pas abscons, c’est un chef d’œuvre, ce dont, de vous à moi, je n’ai pas douté.
Et Les Cloches sont un autre sommet, un résumé de l’existence humaine, une fresque poétique et épique à la fois, écrite pour Mengelberg et son Concertgebouw. Solistes parfaits, avec une mention spéciale pour le très émouvant timbre de la soprano (Dina Kuznetsova), chœur incroyablement incarné (bravo, Michael Gläser fait décidément un travail admirable avec les forces de la Radio !), orchestre ardent et poétique. Noseda dirige encore très alerte, s’offrant un retrait de tempo pour le redoutable Troisième poème, celui de la cloche de mort : ce tocsin que l’on entend tout au long de l’œuvre entière de Rachmaninoff et qui produit ici une invraisemblable tempête sonore.
Bémol léger, insignifiant : on sait Les Cloches plus âpres de langage, plus abrasives de timbres, un rien plus dissonantes, c’est ainsi qu’on les a apprises en écoutant Kondrachine. Mais même avec cette réserve, la soirée était simplement grisante.
Il faudrait oser plus souvent des programmes aussi cohérents et argumentés : tous, compositeurs et interprètes, en sortent grandis.
Jean-Charles Hoffelé
Paris, Théâtre des Champs-Elysée, le 8 avril 2010
1) Commencée par les opéras, Francesca da Rimini puis Le Chevalier ladre ont parus, Aleko vient d’être édité, elle se poursuit avec les symphonies, la 2e est toute juste disponible (Chandos).
> Programme détaillé du Théâtre des Champs-Elysées
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Photo : DR
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