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Compte-rendu : Un spectacle d’anthologie - Jean-Claude Malgoire dirige Don Giovanni à Tourcoing
Sans doute vous souvenez-vous de ce Don Giovanni installé dans un palais de verre par un cinéaste allemand faisant à Paris ses débuts lyriques, et qui passa en outre à grands frais de Garnier à La Bastille par la grâce du dépensier Gerard Mortier. A chaque scène, le cinéaste coupait le son et l’action avec la criminelle bénédiction de Sylvain Cambreling toujours attentif à ne pas rater le dernier train du snobisme… Toute la critique au diapason et au garde à vous de la mode, délira devant ce saucissonnage imbécile. Espérons que tous viendront revoir la lecture exemplaire de Pierre Constant qui retrouve quinze ans après le Théâtre des Champs-Elysées.
Car dans ce sublime moment de vrai théâtre, Don Giovanni est cette force qui va emportant tout sur son passage, et d’abord ces cœurs brisés projetés hors d’eux-mêmes et hors du temps. C’est bien pourquoi il fallait conclure cette trilogie Mozart Da Ponte par les aventures du burlador de Séville après des Noces de Figaro ancrées dans l’histoire politique de la révolution grâce à Beaumarchais, et un Cosi fan tutte né de l’imagination érotico-fantasque d’un Casanova de coulisses. Cette course tragique s’inscrit entre le vertigineux accord de ré mineur emprunté au Dies irae grégorien qui ouvre l’opéra, et la mort du jouisseur révolté. A ceci près que le metteur en scène refuse la chute en enfer du pécheur, le spectateur médusé assistant à son assomption dans les cintres…
En quinze ans, la vision n’a rien perdu de sa prégnance. Pourtant, seul subsiste de la distribution d’origine le Don Juan élégant, racé mais inquiétant de Nicolas Rivenq, magnifique pivot autour duquel tournent l’ensemble des personnages du plus petit au plus grand, flamme à laquelle chacun se brûle avec une délectation morbide. Vêtu de blanc et de gris perle, il est l’élégance personnifiée… sauf lorsque sa main s’égare sur le corps de son valet. Grand connaisseur de Genêt, Pierre Constant ne laisse rien passer du texte du bon abbé et lorsque Don Juan confie à Leporello « les femmes ignorent ma vraie nature », il se précipite sur lui et l’embrasse sur la bouche. Un ange passe, mais le public ne bronche pas.
Comme quoi il n’y a pas besoin d’en faire un fromage freudien comme les cadets de Pierre Constant qui a bien compris que Don Juan n’a pas le temps de réfléchir avant d’agir : le geste lui tient lieu de réflexion et de morale. Leporello est l’un de nos plus grands chanteurs actuels, Laurent Naouri, qui à l’instar de son épouse Natalie Dessay maîtrise à égalité sa voix et son jeu théâtral. Ceux qui l’ont connu, songeront au fabuleux Daniel Sorano face au Don Juan de Jean Vilar dans la pièce éponyme de Molière : à ce degré d’intégration, musique et théâtre ne font plus qu’un. Les donne ne sont pas en reste ! C’est la très grande classe pour l’Elvire de Véronique Gens et la Donna Anna de Sandrine Piau : au-delà de toute difficulté technique, elles effacent la frontière entre récitatif, air et ensemble pour projeter d’un même souffle leur voix et leur corps. Du très grand art.
Ingrid Perruche caractérise à la perfection Zerline. Mais surtout, tous participent avec enthousiasme à ce merveilleux travail de troupe où personne ne tire la couverture à soi. Même pas la basse impressionnante de François Lis en Commandeur. A la première à Tourcoing à laquelle assistait en voisine Martine Aubry venue de sa mairie de Lille, le Don Ottavio de l’Allemand Donat Havar, presque aphone, sut préserver l’essentiel de son chant et de son jeu porté par l’ensemble. Le Masetto du baryton français Christian Helmer n’eut pas besoin de soutien si ce n’est de sa coquine de Zerline.
La moindre vertu de cette reprise de la trilogie Mozart Da Ponte conçue comme un tout cohérent par Jean-Claude Malgoire et Pierre Constant n’est pas de nous prouver que la plus exigeante des mises en scène ne contrarie jamais l’essor de la musique.
Jacques Doucelin
Tourcoing, 16 mai. Dernières représentations : 18 et 20 mai, 20 h.
03 20 70 66 66
www.atelierlyriquedetourcoing.fr
Théâtre des Champs-Elysées : 7, 9, 11 juin, 19h30.
01 49 52 50 50
www.theatrechampselysees.fr
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Photo : DR
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