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Compte-rendu : Le Rossignol et autres fables à l’Opéra de Lyon - Stravinski côté russe
Robert Lepage ne s’est jamais vraiment remis de son passage au Cirque du Soleil et on ne s’en plaindra pas, outre que cet univers, avec son art du spectacle sans coulisses et ses techniques multiples, correspondait parfaitement à son univers créatif. Quel autre metteur en scène pourrait aujourd’hui réunir avec autant de virtuosité les œuvres éparses qui composent la première partie de l’inventive soirée Stravinski que l’Opéra de Lyon avait laissé déflorer cet été par le Festival d’Aix-en-Provence ? On n’en voit pas d’autres qui aient un univers aussi puissant tout en refusant de s’embarrasser d’un système.
Le théâtre d’ombre fait toujours son effet sur le public, surtout réalisé « de visu ». Une grande lanterne rouge placée à jardin sert de projecteur au travail poétique de Philippe Beau et de ses « ombristes ». La salle s’émeut et rit, parfois au dépend d’une écoute attentive de la musique et du fin suivi que demande l’action. Car les ombres montrent autant qu’elles commentent, racontent les histoires multiples de Pribaoutki, des savoureuses Berceuses du chat, des énigmatiques Poèmes de Balmont et en proposent autant d’interprétations. Pour la farce cruelle de Renard, une grande bande horizontale servira de « dérouloir » à une action emmenée avec virtuosité par des acrobates téméraires, art véritablement issu du cirque.
On s’inquiétait devant le poussif Ragtime avec lequel Kazuschi Ono et ses musiciens avaient ouvert la soirée (d’ailleurs l’elliptique Tango n’aurait-il pas été un meilleur choix ?), mais dès Pribaoutki la verve rythmique et le ton faussement populaire étaient bien là, animés autant par le chef que par des chanteurs formidables de présence : Svetlana Shilova disait avec une poésie désarmante de naturelles les histoires de Pribaoutki comme les vignettes tendrement humoristiques des Berceuses du chat alors qu’Elena Semenova donnait aux Balmont cette nostalgie décadente qui en fait l’un des rares échos scriabiniens jamais produits par Stravinski. Renard était presque un peu trop chanté – on peut le faire plus parlando, plus dans le verbe – mais il faut confesser qu’on préfère l’entendre dans sa mouture française où Ramuz déploya sa langue irrésistible, ceci expliquant cela. Au total, il ne manquait à cet ensemble que les Trois Poésies de la Lyrique Japonaise ; qui y auraient pourtant d’évidence trouvé leur place.
Une paille : chaque sortie du clarinettiste – Jean-Michel Bertelli à la sonorité évocatrice, transformé en personnage russe, avec toque et manteau – qui vient donner les Trois Pièces que Stravinski écrivit pour son instrument, donne lieu à des applaudissements qui fractionnent la magie du spectacle, l’émiettent quelque peu.
Et l’entracte passé, émerveillé qu’on est par le dispositif visuel choisi pour la seconde partie de la soirée, avec son orchestre derrière la scène, la lune étant projetée sur le tam-tam, les lumières poétiques et sombres d’Etienne Boucher créant une atmosphère magique propice au conte qu’est Le Rossignol, on en veut au chœur puis ensuite à Kazushi Ono, de déclencher d’inutiles bravos par leurs entrées. Il les aurait fallu en place pour que la magie ne se rompe pas. Le spectacle, par sa cohérence, appelle naturellement ces corrections minimes mais qui suffiraient à rendre le rêve plus fluide.
Car rêve il y a. Moins par le doublage un peu inutile des marionnettes ou par les effets visuels un rien appuyés et trop montrés (le Lit-Mort méchamment mû par les hommes-grenouilles devait être une jolie idée sur le papier, réalisée elle s’avère pataude), que par une direction d’acteur finement conduite mais qui passe hélas après les effets de spectacle. Lorsque Robert Lepage s’amuse, comme lors du défilé animalier de l’Empereur de Chine avec dragons et cygnes phœnix, on ne résiste pas, mais on est moins conquis lorsque la part sombre du conte prend le dessus. Et on se demande encore comment le rossignol mécanique de l’ambassade mortifère des Japonais peut-être aussi peu menaçant, il y avait pourtant là de quoi filer une métaphore visuelle de l’horreur mécaniste autrement prégnante et qui peine à se réduire d’un acte à l’autre en un simple changement d’échelle.
Mais le lyrisme général de l’œuvre est bien là, son univers tout entier déduit de la poésie magique de Rimski-Korsakov finement restitué, d’abord par des chanteurs impeccables. On sait que la partie du rossignol, avec ses vocalises de haute école, a toujours fasciné les coloratures, qui pourtant s’y cassent les dents. Car si le rossignol vocalise dans la stratosphère, il veut aussi une voix aux harmoniques profondes et à la couleur nocturne, exactement comme celle de l’oiseau. Olga Peretyatko résout la quadrature du cercle, voix ambrée qui met jusque dans ses pyrotechnie une nostalgie toute « rossignolesque » ; elle ne quitte jamais la sphère animale, refusant tout anthropomorphisme. Admirable. Le pêcheur éperdument lyrique d’Edgaras Montvidas (in loco la saison passée un étreignant Lenski), l’Empereur effrayé d’Ilya Bannik, la cuisinière finement vue d’Elena Semenova, tous disaient le conte autant qu’ils le chantaient, portés par l’orchestre atmosphérique déployé sous la baguette attentive de Kazushi Ono. Un visage toujours aussi méconnu de Stravinski apparaissait derrière le portrait officiel, la soirée avait atteint son but.
Jean-Charles Hoffelé
Igor Stravinski : Le Rossignol et autres fables – Lyon, Opéra National, le 15 octobre, prochaines représentations les 20 et 21 octobre 2010
Rens. : www.opera-lyon.com
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Photo : Bertrand Stofleth
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