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Compte-rendu : Reprise d’Ariane à Naxos à la Bastille - La tentation du sublime
Richard Strauss avait pourtant prévenu dans son prologue : Ariadne auf Naxos revendique le composite, le mixte, l’alternance des genres jusqu’à l’absurde, qui plient un imaginaire opera seria dans les bouillonnantes pirouettes de la commedia dell’arte. Il faut y mettre une alacrité, une fantaisie, une ardeur, une joie du théâtre qui doit donner le tournis.
Pourquoi Philippe Jordan boutonne-t-il jusqu’au cou son prologue, que plombe trop les interventions d’un Franz Mazura comme extraites du tactus musical ? Connaissant la culture du jeune directeur musical de la Grande Boutique, on ne doute pas il ait entendu ce que Karl Böhm déclenchait dans ce même prologue : une ivresse scénique époustouflante. Pourquoi un tel contre-pied ?
Du coup ce prologue s’éternise et les visages s’y dessinent peu. Passe encore pour les héros de l’opéra, on les reverra ensuite, mais pour le Komponist toujours aussi admirable de Sophie Koch, c’est une injustice. Si peu portée, si peu enflammée, Koch fait aussi bien qu’elle peut, mais peine perdue : l’orchestre ne la relance pas, les cordes ne viennent pas moirer son timbre, les bois ne vivifient pas de leurs piques ironiques ses tourments de jeunesse. Cette réserve qui monte de la fosse vous glacerait la flamme la plus vive.
Souci esthétique, volonté de tout tenir, manie du contrôle auxquels les musiciens répondent au millimètre près, fascinés par cette battue aussi impeccable qu’exigeante. Mais si peu de son dans le frigidaire de Bastille c’est tout simplement un pari impossible.
Les choses s’arrangent pourtant lorsque l’opéra paraît et alors même que Philippe Jordan radicalise encore son propos, plus lent, plus intériorisé, atteignant à partir de la trompette de Bacchus une dimension onirique qui étire le temps au-delà du raisonnable. Mais quel art ! Là on le suit, conquit par la pertinence du propos et par un orchestre simplement magique.
Distribution moins brillante que sur le papier : Stefan Vinke promettait beaucoup dans ses quelques phrases de ténor, mais Bacchus l’effondre : voix à la trame, justesse plus d’une fois incertaine, dommage car le timbre, lui, est magnifique. Et honte au public qui a osé le huer, inconscient de ce qu’exige ce rôle d’héroïsme crâne et de plénitude vocale : c’est bien simple, hors James King tous s’y sont plus ou moins cassés les dents depuis Max Lorenz !
Ricarda Merbeth, subtile plus souvent qu’à son tour, n’a pourtant pas l’étoffe d’une grande Ariadne : graves peu profus, aigus sans vrai lumière, elle ne rayonne pas, prisonnière d’un jeu de scène stéréotypé qui l’empêche de dessiner son personnage.
Bon Tanzmeister de Xavier Mas, alerte et piquant, un peu court d’aigu pourtant, jolies naïades qui ne trillent pas assez (Ellena Tsallagova vole tout de même la vedette à ses deux comparses), troupe italienne assortie (François Piolino, désopilant Scaramuccio, François Lis, prêtant ses séductions dégingandées à Truffaldino) et deux miracles : Jane Archibald, Zerbinetta absolue du moment, et qui la chante aussi bien que Rita Streich le fit, on ne peut pas trouver plus grand compliment, sinon que d’ajouter à quel point elle est prodigieuse en scène, moins soulignée que Nathalie Dessay, plus adorablement sensuelle aussi – sa scène avec Harlekin faisait frissonner de plaisir la salle. Second miracle, retenez bien ce nom, Edwin Crossley-Mercer, Harlekin justement, qui étrennait ce soir là la scène de Bastille – c’était d’ailleurs sa première à l’Opéra de Paris tout court - et en passait la rampe sans forcer. En distinction de chant, en précision d’expression, en simple beauté de voix, le jeune homme nous fait renouer avec la grande école des barytons français, un souvenir du premier Gérard Souzay passe dans ce timbre, c’est tout dire. Admirable, on aurait voulu l’écouter les yeux fermés si son habile jeu de scène, sa prestance physique naturelle, ne nous avaient pas contraint à les garder ouverts.
La production de Laurent Pelly, sans arrière-plans, vieillit bien, mais conçue pour Garnier, elle flotte sur la scène de Bastille - bémol bénin.
Jean-Charles Hoffelé
Richard Strauss : Ariadne auf Naxos – Paris, Opéra Bastille, le 11 décembre, prochaines représentations les 14, 17, 20, 22, 25, 28 et 30 décembre 2010
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Photo : Jane Archibald (Zerbinetta) et Ricarda Merbeth Primadonna (Ariadne).
Crédit Photo : Julien Benhamou / Opéra National de Paris
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