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La Chronique de Jacques Doucelin - L’opéra plus cher à Paris qu’en province !
Je vous entends d’ici : ça, c’est de la provoc’ ou je ne m’y connais pas… Chiche ! Car il suffit de regarder les chiffres : ils parlent d’eux-mêmes. Se rendre à l’opéra dans nos capitales régionales coûte au plus la moitié du prix parisien, comme c’est le cas à Toulouse (entre 100 et 4,75 euros), mais le plus souvent pour le tiers comme à Strasbourg (entre 85 et 12 euros), Nice (entre 70 et 5 euros) ou à Nancy (entre 59 et 5 euros), voire le quart du prix de la place à Paris, comme à Tours (entre 57 et 7 euros), à Angers/Nantes (entre 55 et 6 euros) pour ne pas parler de l’excellent Atelier Lyrique de Tourcoing de Jean-Claude Malgoire (entre 42 et 10 euros).
On se souvient de cette Katia Kabanova de Janacek venue de Salzbourg et donnée en 2004 d’abord au Capitole de Toulouse - à l’époque où il était si exemplairement géré par un certain Nicolas Joël « monté depuis à Paris » - avant l’Opéra Bastille où la place, pour ce même spectacle, dépassait celle offerte dans la ville rose augmentée du prix du billet de train aller et retour ! Je connais des petits malins bien inspirés qui se sont offert le voyage à Toulouse… Certes, les salaires sont supérieurs en région parisienne à ceux pratiqués en province… Encore qu’il faudrait commencer par définir les limites géographiques de ladite « province » depuis que le TGV (même avec du retard…) a mis Tours à une petite heure de Paris.
Les subventions locales sont pourtant largement inférieures à celles allouées aux institutions parisiennes, même si l’Etat consent à déconcentrer quelques menus crédits en faveur de la petite demi-douzaine d’Opéras de région bénéficiant du label national (Lyon, Opéra du Rhin, Bordeaux, Montpellier et Nancy). Tous ces théâtres – et pas seulement les plus richement dotés - pratiquent en outre une politique exemplaire et souvent très originale en direction du jeune public.
Il convient bien évidemment de donner en regard les prix de place pratiqués sur Paris. A tout seigneur tout honneur : l’Opéra de Paris avec ses deux salles crève le plafond, l’éventail des prix allant de 180 euros pour la classe « Optima » la bien nommée, à 5 euros. Ce sont des chiffres de Festivals internationaux ou alors de salles comme le Covent Garden de Londres ne bénéficiant d’aucune subvention d’Etat. Car attention, à la Bastille comme au Palais Garnier, quand vous achetez votre place, près de la moitié de son coût a déjà été payé par la subvention (102,8 millions d’euros de subvention de fonctionnement (1) pour un budget total de 208 millions d’euros en 2011), c'est-à-dire par vos impôts : cherchez l’erreur !
La qualité Monsieur… Parlons-en. Savez-vous que vous pouvez aller au mythique Opéra de Vienne en Autriche pour une somme allant de 168 à 8 euros ? CQFD. Mais il ne faudrait pas risquer de peiner Nicolas Joël avec une fixette sur sa Grande Boutique ! Celle-ci est talonnée par le Théâtre des Champs-Elysées (de 140 à 5 euros), certes, porté par la généreuse Caisse des Dépôts et Consignations, mais sensiblement moins tout de même que les deux salles de l’Opéra. Soutenu par la seule Ville de Paris, le Châtelet n’est pas en reste avec un Barbier de Séville de 139 à 10 euros. A l’Opéra Comique, l’amplitude va de 115 à 6 euros : c’est déjà plus raisonnable compte tenu de la qualité de ses spectacles.
Dans le calcul du prix de la soirée lyrique, il n’est pas inutile d’ajouter le coût du parking et des amuse-gueule de l’entracte… A Bastille, avec 6 euros pour un demi-ballon de picrate, on a vite fait de crever le plafond des 10 euros pour peu qu’on veuille calmer une petite faim avec un mini-sandwich à maxi-prix…
Tout cela n’est pas très démocratique. A croire que ce genre de divertissement est réservé aux pensionnaires du CAC 40… Ils ont déjà l’AROP pour étancher leur soif de notoriété. On plaisante, mais c’est tout l’avenir de l’opéra ou de la musique et de la culture pour tous, ou pour chacun comme vous voudrez, qui est en cause. En effet, l’inflation des prix des concerts dont l’offre n’a jamais été aussi forte à Paris est une évidence : combien de salles, et des plus prestigieuses, ne se remplissent lors de la venue de grands orchestres internationaux hors de prix que grâce au mécénat d’une banque ou d’une grande entreprise qui y débarque avec employés, clients, armes et bagages ? Cela se remarque et devrait en forcer certains à s’interroger plus avant sur le projet de très grande salle à l’Est de Paris. Un pari qui n’est pas gagné dans la conjoncture tristounette d’aujourd’hui. Jacques Doucelin
(1) A la subvention de fonctionnement s’ajoutent 4 millions d’euros d’investissement dans les travaux nécessaires à l’entretien des deux bâtiments.
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Photo : DR
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