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L’Opéra de quat’sous selon Laurent Pelly à la Comédie Française - Série noire - Compte-rendu
Singspiel, opéra théâtre ou théâtre musical, L'Opéra de quat’sous devait un jour ou l'autre faire son entrée au répertoire de la Comédie Française. C'est aujourd'hui chose faite, grâce à Muriel Mayette et à Laurent Pelly, décidément très productif cette saison. Quelques mois en effet après une lecture plutôt réussie de Mahagonny à Toulouse, le metteur en scène s'attaque avec une ardeur communicative au second ouvrage du duo Weill/Brecht créé à Berlin en 1928. Servi par une troupe de comédiens-chanteurs excellente, ce spectacle virtuose, haletant, sans aucun temps mort, nous entraîne dans les bas-fonds londoniens (situés ici dans l'après-Thatcher) pour une histoire banale et universelle ; amour, trahison, sexe, pouvoir et corruption, la société violente et cynique que passe au crible Brecht, n'a pas changé, la force de sa critique sociale pouvant aujourd'hui comme hier refléter notre réalité quotidienne.
Si l'oeuvre continue d'interpeler le public et l'oblige à réfléchir aux criantes injustices de son temps, l'humour véhiculé par la fine traduction de Jean-Claude Hémery permet à Laurent Pelly d'insérer dans le tissu narratif de nombreux gags bienvenus, notamment autour du personnage de Mme Peachum, interprété avec un aplomb irrésistible par Véronique Vella.
Traitée comme un film noir, cette descente aux enfers menée à un tempo effréné, dans d'imposants décors faussement réalistes (Chantal Thomas), changés à vue par les acteurs eux-mêmes et les techniciens, voit s'affronter, se trahir et se perdre malfrats, flics, prostituées, indics et filles « pures », sur des musiques grinçantes et obsédantes, soigneusement calibrées par Weill. Après le hiératisme assumé et la recherche esthétique poussée à l'extrême de Bob Wilson, qui avait soumis le Berliner Ensemble à ses codes l'an dernier au Théâtre de la Ville, Pelly traite son sujet en homme de théâtre honnête et rigoureux, capable par-delà une mise en scène à la mécanique parfaitement huilée, de donner du sens à cette fable satirique qui semble s'écrire sous nos eux.
On savait les membres du Français bons comédiens, voici qu'ils se révèlent bons chanteurs. Acteur physique, brutal et sensuel, Thierry Hancisse offre une composition très complète de Mackie Messer, chantant clair, fort et juste sans jamais démériter. Dans son sillage, Laurent Natrella ne s'en laisse pas compter, accaparant avec une belle énergie le rôle du fourbe et manipulateur Tiger Brown, tandis que Bruno Raffaelli campe un Jonathan Peachum cauteleux à souhait. Les interprètes féminines ne sont pas en reste et en premier lieu Léonie Simaga, savoureuse Polly, dont le tempérament et la voix bien projetée conviennent idéalement à son personnage, tout comme l'électrique Véronique Vella, Celia, sa mère, petit bout de femme que rien ni personne ne peut arrêter.
Dans des rôles plus courts, mais tout aussi essentiels et bien trempés, Sylvia Bergé trouve le ton juste pour faire exister Jenny-la-Bordelière (et quelle plastique !), Marie-Sophie Ferdane imposant une Lucy trépidante, même si son chant heurté et souvent pris en défaut n'emporte pas toujours l'adhésion. Le reste de la distribution, comme les instrumentistes dirigés avec élan et conviction par Bruno Fontaine, n'appellent aucune réserve.
Une entrée remarquée.
François Lesueur
K.Weill : L’Opéra de quat’sous. Paris, Comédie Française (Salle Richelieu), 6 avril 2011, représentations jusqu’au 19 juillet. www.comedie-francaise.fr
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Photo : Brigitte Enguérand
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